r e v i e w s

Fiona Tan

par Daphne Le Sergent

 

La scène artistique internationale nous amène progressivement à considérer et à installer l’œuvre dans une chaîne de production pluriculturelle. Origine et lieu de résidence de l’artiste, prise en charge du coût de réalisation des projets, localisation de l’espace d’exposition ne convergent pas toujours vers le même point géographique. S’il paraît évident aujourd’hui de prendre acte d’une telle cartographie de la production de l’œuvre, il semble moins facile d’en suivre les imbrications dans le processus créateur et encore moins aisé de comprendre comment se joue chez l’artiste l’assimilation d’une donne internationale. Ce tournant dans notre conception de l’art engage du côté de l’artiste, certes des préoccupations et des problématiques touchant à la sphère mondiale, mais le renvoie également à une identité déployée au gré de différentes cultures et à un point de vue glissant d’une latitude géographique à l’autre.
À ce titre, le travail de Fiona Tan explore ce qu’Hou Hanru appelle « trans-identité ». De père chinois et de mère anglo-saxonne, l’artiste a vécu en Australie, puis en Allemagne et travaille actuellement aux Pays-Bas. Une de ses dernières vidéos, a lapse of memory, Les Immémoriaux, 2007, nous entraîne dans la journée d’un vieil homme occupant seul les murs du Pavillon royal de Brighton. Depuis son réveil à son coucher, la vidéo décrit une boucle temporelle où se confondent passé et futur, le moment écoulé et l’instant d’après. Tous les repères spatiaux temporels sont oblitérés pour ne laisser que l’image d’un homme mystérieusement seul, se nourrissant de boîtes de sardines, dormant par terre et respectant la cérémonie japonaise du thé. Sa présence contraste avec cette immense demeure anglaise construite au XIXe siècle, aux décors somptueux, parfois japonisants, parfois inspirés de la Chine lointaine. Cet homme, aux deux prénoms Henry et Eng-Li, reste-t-il là, fasciné par les représentations que l’Occident pose sur l’Orient ? Ou est-il un voyageur revenu d’Asie, perdu entre deux mondes, entre deux portes? La silhouette de cet homme qui au départ, paraît flotter dans l’espace comme étrangère à lui, rentre de plus en plus en connivence avec l’architecture : tous deux se situent dans un entre-deux. La question de l’inscription d’une figure dans un paysage, de l’enracinement d’une identité dans une culture ne tient-elle pas d’un jeu infini de reflets de reconnaissances et de similitudes plus que dans la filiation ou l’hérédité ? Cela procède de la question du portrait, de la relation entre le sujet et son environnement saisi dans l’instantané photographique, que traite Fiona Tan dans son travail, à chaque fois sous un nouvel angle.
C’est comme suspendu dans l’obscurité que l’écran de projection émerge de la nef de la Chapelle du Genêteil. Peu à peu des correspondances entre la vidéo et le lieu se font. La présence anachronique de la lumière de la projection discorde avec l’architecture romane de la chapelle mais très vite la boucle temporelle de l’histoire infiltre l’espace, le rend à une intemporalité en vue de laquelle il a été bâti. Une installation vidéo, Rain, constituée de deux moniteurs posés l’un sur l’autre, complète l’exposition : une pluie torrentielle tombe sur le seuil d’une porte où sont posés deux seaux. Un chien semble dormir. Les deux écrans présentent la même image, légèrement décalée et dans le cadrage et dans le temps. Rien ne paraît se passer ou presque, mais les deux images ont ouvert un interstice nécessaire pour que s’écoule un temps autre, d’où pourrait s’élancer une ligne de subjectivation.

Daphné Le Sergent

Fiona Tan, à la Chapelle du Genêteil, Château-Gontier, du 5 avril au 1er juin 2008.

Vue de l'expo

Vue de l’exposition à la chapelle du Genêteil


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