r e v i e w s

Elodie Lesourd

par Vanessa Morisset

Lambda Pictoris, Frac Normandie Rouen, Sot­te­ville-lès-Rouen, 19.01- 5.05.2019

Qui aurait pu croire que la vieille problématique opposant peinture abstraite et peinture figurative puisse réapparaître et trouver une issue aussi séduisante qu’à travers l’exposition d’Elodie Lesourd au FRAC Normandie ? Sur les deux étages du lieu, l’artiste a associé ses tableaux, une quarantaine, majoritairement figuratifs, et même hyperréalistes, à des peintures murales abstraites qui s’étendent sur toutes les cimaises. Des formes de couleurs constituent ainsi un arrière-plan, mieux, un écho aux images, la métaphore sonore se justifiant par le fait que le sujet de prédilection de l’artiste est l’univers rock et ses objets fétiches : guitares, batteries, amplis, reliques de concerts… En cela réside l’attrait premier et irrésistible de l’ensemble.

L’un des tableaux (The Grail, 2007), accroché à l’étage, peut être perçu comme un manifeste dans lequel Elodie Lesourd transpose en peinture une installation de 2004 de John Armleder intitulée Zakk Wylde 1 ( F.S.), du nom du guitariste jouant avec la célèbre Epiphone à motifs concentriques noirs et blancs. Dans l’œuvre d’Armleder, la vraie guitare côtoie une peinture qui, s’inspirant de son motif, s’apparente à de l’op art. Dans l’œuvre d’Elodie Lesourd, tout est ramené à la peinture, œuvre d’un autre, volume et plan, guitare et tableau, rapprochant non plus objet et peinture mais figure et abstraction, unies dans l’illusion de la représentation.

De manière moins immédiate mais tout aussi avérée, cette réconciliation de la figuration et de l’abstraction dans la représentation caractérise d’autres œuvres, par exemple Nature Coming Full Circle de 2015 qui donne à voir, en une vue surplombante, une batterie baignée d’une lumière verte, inspirée d’une installation du collectif d’artistes A kills B (le sous-titre l’indique) : l’image joue avec l’ambiguïté entre l’instrument et ses éléments réduits à des disques colorés. Ou encore, une peinture plus ancienne, You May Know Him, de 2008, représente elle aussi une batterie, ornée de cercles de couleurs, évoquant autant le rock, la chanson de Cat Power dont l’artiste a repris le titre, que des motifs à la Sonia Delaunay.

Mais au-delà de la séduction qui se dégage des œuvres et de leur accrochage, des strates plus profondes de complexité, justement dues aux croisements des références, se font pressentir et ne demandent qu’à être explorées. Il est en effet intéressant de s’arrêter plus précisément sur les imbrications des éléments cités, notamment les titres de chansons tels qu’ils sont associés aux peintures, de surcroît souvent inspirées d’œuvres préexistantes, elles-mêmes liées à la musique. Car, par ce biais, Elodie Lesourd attire l’attention sur une zone de rencontre entre l’esthétique rock et l’art, les deux ouvrant des perspectives imaginaires, dans une tonalité contemporaine pour le rock, plus classique pour la peinture, mais qui finissent par se superposer. C’est ainsi qu’une scène de fin de concert peut être érigée au rang monumental d’une peinture d’histoire, en quelque sorte.

À ce titre, on peut penser au grand quadriptyque I Wanna Be Your God de 2005 accroché dans la salle du bas. Son titre évoque une chanson du groupe de trash metal Slayer, tandis que son sous-titre, « Courtesy C. Lévêque », précise la source d’inspiration iconographique, une installation de Claude Lévêque de 1996 (elle-même intitulée I wanna be your Dog, en référence à une chanson des Stooges, parodiée par Slayer). Dans l’installation comme dans la peinture qui la reproduit fidèlement, le motif se compose d’un matériel de concert abandonné en vrac sur une scène encore à demi éclairée par des lumières, bleues au fond, rouges sur le devant. Dans les deux, une amorce narrative exprime un sentiment de mélancolie.  Mais dans la peinture, l’effet est décuplé par l’attitude plus contemplative que le tableau impose au spectateur. Il en va de même pour une autre grande œuvre de 2013 intitulée, Sunbather, du titre d’un album de metal, référence qui se superpose à l’évocation, de nouveau, d’une installation du collectif A kills B. Dominée par une couleur rose pastel, la peinture représente elle aussi une scène post-concert bien énigmatique. Des instruments et éléments de peinture en bâtiment ont été laissés en plan, comme si des musiciens-décorateurs d’intérieur ayant entrepris de repeindre tout en rose avaient été interrompus dans leur tâche et s’étaient enfuis. Mais surtout, là encore, la peinture affirme sa présence à plusieurs niveaux : celui du sujet représenté comme celui du résultat final, démontrant sa capacité à tout absorber. Dans certaines zones, elle reproduit jusqu’aux imperfections des photographies utilisées en tant que document ­— par exemple le flou d’une mauvaise mise au point, comme c’est particulièrement le cas dans une autre peinture, And I knew the Silence of the Word, de 2014, où des serviettes-éponges sont traitées en aplats vaporeux.

Car c’est bien de cela dont il est question dans cette exposition, de peinture. Et en la parcourant, on en vient à penser que, chez Elodie Lesourd, la représentation ne renvoie pas tant à une réalité extérieure qu’elle ne suggère le pouvoir qu’a la peinture, aujourd’hui pas moins qu’avant, de tout refléter : le monde contemporain, les images, les œuvres, jusqu’à sa propre mise en abyme.  

Toutes les images : Vue de l’exposition. Photo : Marc Domage.


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