r e v i e w s

« Dynamo »

par Ingrid Luquet-Gad

Grand Palais, Paris, du 10 avril au 22 juillet 2013 *

Balayé vers l’entrée de l’exposition par l’impulsion de vagues lumineuses déferlant le long du mur pour n’en être que mieux happé par trois disques concaves rouges qui renvoient une image inversée de leur environnement, le visiteur, s’il se retrouve d’emblée déstabilisé de manière plus qu’efficace en passant du panneau de néons blancs du Voltes III de John Armleder au Dishes d’Anish Kapoor, peut aussi être pris de vertige au vu de l’ambition de l’exposition : pour la plus grande exposition d’art abstrait jamais réalisée, les galeries du Grand Palais sont investies dans leur intégralité. Sur ces quelque quatre mille mètres carrés viennent s’agencer deux cent vingt œuvres de cent quarante-deux artistes ou groupes d’artistes, dressant le panorama d’« un siècle de lumière et de mouvement dans l’art de 1912 à 2013 », sous-titre de l’exposition.

Ce printemps aura été marqué par le retour de l’art optique et cinétique sur le devant de la scène; pour « Dynamo », on préférera parler d’art perceptuel, un terme d’acception plus large forgé lors de l’exposition « The Responsive Eye » au MoMA en 1965. Si l’on retrouve ainsi des figures tutélaires comme Soto et Julio Le Parc, consacrés par les expositions monographiques présentées en parallèle à Beaubourg et au Palais de Tokyo, la présence d’artistes plus jeunes tels que Philippe Decrauzat, Carsten Höller ou Jeppe Hein permet de pluraliser le propos.
Loin d’illustrer une quelconque filiation qui alignerait précurseurs et épigones, le parcours, subdivisé en seize sections consacrées à différents modes d’expérience phénoménale, est gouverné par une réelle volonté de formuler des articulations complexes, aussi bien historiques que formelles. L’ambition est d’autant plus louable qu’il s’agit d’œuvres dont la spécificité est bien celle d’exiger, chacune et radicalement, une immersion totale de la part du spectateur, condition non négociable de leur réactivation voire de leur existence. Les enjeux sont alors tout autres que pour une exposition monographique dont la cohérence interne est plus ou moins assurée d’avance.

La nécessité de composer avec des pièces monumentales qu’il a fallu placer hors de la section qui leur avait été assignée, à l’instar d’Invisible Life de Yayoi Kusama, labyrinthe ponctué de miroirs acryliques, ainsi qu’avec des pénétrables et des environnements, comme celui du GRAV, qui phagocytent le dispositif même de l’exposition, achève d’infléchir la rigueur quelque peu forcée d’un compartimentage qui n’arrive heureusement pas vraiment à s’imposer ailleurs que sur la plaquette de l’exposition. Beaucoup plus intéressants sont les échos formels entre les œuvres : sans être systématiques, ils suffisent à se faire l’indice de complexes relations de filiation et de décrochages, et réussissent à instaurer un rythme d’ensemble sans toutefois entraver la fluidité du parcours. La volonté de donner à l’exposition une structure thématique reste pourtant cruciale : par son artificialité même, elle signifie le refus d’un spectateur-marionnette réduit à sa capacité à réagir à des stimuli. Est par là contourné l’écueil du pur divertissement, ce caractère de fête foraine dont on a si souvent pu faire reproche aux expositions d’art perceptuel.

Non pas une suite d’absorbements successifs et exclusifs, mais le maintien d’un élément extérieur de transversalité : il n’est peut-être pas si paradoxal que ça de tenter de réintroduire la portée cognitive au sein d’un mouvement artistique qui vise pourtant à se reconnecter à la sensibilité pure ; si le perceptuel est lourd d’ambitions de démocratisation, véritable espéranto visuel, c’est en cela justement qu’il est apte à se faire le substrat d’une critique universelle et immédiatement accessible, renversant (car il ne s’agit au final que de cela : de renverser, de mettre sens dessus dessous certitudes et habitudes) le reproche d’un spectateur rendu passif. Le fait d’être confronté violemment à un peu trop de stimuli entraîne un mouvement de recul spontané, et le retour d’une distance critique. Cette saturation visuelle n’est pourtant pas si éloignée de ce dont nous faisons l’expérience tous les jours. Une mise en abyme qui n’est pas sans rappeler l’ambition des collages cubistes dont la juxtaposition de textures était à l’image d’un nouveau paysage urbain marqué par les panneaux publicitaires ; l’équivalent actuel, à l’ère du tout-à-l’écran, serait une modalité perceptive où le « battement » [1], le vacillement et la distorsion sont à ce point intégrés à notre environnement courant que nous n’y prêtons plus attention. Tel serait alors l’habitus visuel contemporain qui explique le soudain engouement pour l’art perceptuel.

  1. Le terme est de Rosalind Krauss et Yve-Alain Bois, in L’informe mode d’emploi, Paris, Centre Pompidou, 1996.

* Commissariat général : Serge Lemoine / Commissariat : Mathieu Poirier