Traucum
Parc Saint Léger hors les murs, du 13 septembre 17 octobre 2014
Au cours des dernières années, de plus en plus de voix se sont élevées qui remettaient en cause le primat du paradigme représentatif dans l’art1. À l’encontre du rapport mimétique entre la chose en soi et sa traduction dans le langage visuel, ces théoriciens, de bords divers, proposent de repenser l’art sous le prisme de l’image. De la sorte, la sortie du représentatif permettrait, dans une approche qui emprunte aux cultural studies et à la Bildwissenschaft, de considérer les productions du champ de l’art au même titre que les images trouvées. Un pas nécessaire, permettant de prendre en compte deux facteurs-clés récurrents dans la pratique artistique contemporaine : la place d’Internet et l’engouement pour la pensée de l’archive.
Les recherches de la commissaire Céline Poulin participent de ce courant. Son approche spécifique se concentre sur les liens entre vision et savoir, qu’elle inscrit dans la perspective plus vaste des dispositifs de monstration, s’interrogeant sur la manière dont « notre compréhension s’agrandit des nouvelles investigations et points de vues rendus possibles par la technique ». En 2012, l’exposition « Brigadoon » réunissait à La Tôlerie à Clermont-Ferrand une vingtaine d’artistes autour de l’exploration de la face rêvée de la vision. Dans le cadre d’une proposition hors les murs du Parc Saint Léger, « Traucum », le second volet, en aborde l’autre face : sa fonction cognitive. En toile de fond, le lien à l’image projetée du cinéma, commun aux deux expositions, introduit la question du montage, indissociable, selon la commissaire, d’une « écriture alternative de la connaissance ». Le titre (« trou » en latin), se fait l’écho de sa volonté de remonter à l’origine de l’appareillage de la vision : avant même que ne s’élargissent nos points de vue sur le monde par l’entremise des progrès techniques, nous ouvrant la porte, comme le soulignait déjà Walter Benjamin, de l’infiniment grand par le télescope et de l’infiniment petit par le microscope, l’acte de voir est irrémédiablement médié : pour voir, il faut voir par. Et en cela, le trou se lit comme le premier degré de la connaissance.
Dans le bâtiment des Archives Historiques de la Nièvre, la proposition s’ouvre sous un triple patronage. Avant même de pénétrer dans l’espace d’exposition, la vidéo culte de Marc Leckey, Felix Gets Broadcasted (2007), méticuleuse opération de démembrement d’une figurine de papier mâché de Félix le Chat par l’entremise de scans successifs, fait office d’avertissement au lecteur. Non loin de là, l’impression sur vinyle de Michael Jones McKean, The Deep Field (2014) qui mêle found footage et vie quotidienne californienne, donne aux images de pointe du télescope Hubble une doublure new age. Soraya Rhofir, quant à elle, déploie sur des panneaux de carton un répertoire d’images pixellisées à outrance qu’elle glane sur Internet (Blanche Calcium, 2014). L’exposition, pourrait-on croire, serait donc placée sous le signe de ces pratiques que, par facilité de langage, on qualifiera de post-internet, ou du moins prendrait-elle à bras le corps l’infléchissement des pratiques liées aux nouveaux modes de circulation des images. Le sujet, s’il est évident, n’en semble pas moins pertinent dans le cadre qui l’accueille : celui d’un centre d’archives.
En réalité, à l’intérieur de l’espace d’exposition, le propos se pluralise. Et s’effrite. D’une part, parce que la thématique du lien entre savoir et vision, pour avoir été laissée trop ouverte, pour trop viser l’intemporalité de l’image, amène à élargir considérablement le champ. Plusieurs fils thématiques s’entremêlent : l’utilisation alternative d’une syntaxe dérivée du cinéma (Erik Bünger, Jack Goldstein), les artistes-chercheurs (Ceel Mogami de Haas, Jérémie Gindre), le passage du plan à la troisième dimension (Aleksandra Domanovic) ou les processus de production des images (Xavier Antin). D’autre part en raison d’une scénographie très présente, qui empêche de faire abstraction du discours qui préside à la monstration des pièces : afin de rappeler l’utilisation du montage au cinéma et dans la bande dessinée2, des ouvertures ont été ménagées dans les cloisons, et certaines des œuvres sont présentées de manière fragmentée, disséminées en plusieurs parties. Au regard de la qualité des pièces sélectionnées, c’est peut-être avant tout une certaine tendance systématique à enrober de concepts issus de la philosophie la présentation d’œuvres qu’il faut incriminer. À ce titre, l’exposition a le mérite de prendre à bras le corps un débat actuel, touffu et versatile, évoqué en entrée.
Ces considérations mises à part, « Traucum » s’illustre par son ancrage au territoire. Si nombre des artistes de l’exposition ont effectué des résidences dans la région, au Parc Saint Léger ou au Centre de recherche de Bibracte, un large éventail de lieux est investi, depuis une intervention d’Aude Pariset dans un ancien local désaffecté en plein centre commercial jusqu’à une vidéo de Jon Rafman présentée dans une salle de classe de collège.
1 Voir par exemple David Joselit, « Against representation », Texte zur Kunst. Art vs. Image, n°95, septembre 2014.
2 Le visuel de communication, signé Marc-Antoine Mathieu, représente, en neuf vignettes noir et blanc, un zoom progressif sur un smartphone que l’on voit reflété dans un œil.
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- Du même auteur : Ed Atkins, Honey, I Rearranged The Collection, L'ordre des lucioles, 17e exposition du Prix Ricard , Melik Ohanian, Stuttering, Wilfredo Prieto, Speaking Badly about Stones,
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