Déborah Bron & Camille Sevez

Réactiver les lieux
Déborah Bron & Camille Sevez
Frac Centre-Val de Loire
04.04.2025 — 17.08.2025
L’exposition de Déborah Bron et Camille Sevez au Frac Centre-Val de Loire est un voyage dans l’infiniment petit pour mieux atteindre l’infiniment grand. Une plongée intérieure qui s’ancre dans la vie rurale de plusieurs territoires français — Châteauvilain, Sergy et Montbard — pour rencontrer les habitants, parler du passé et réactiver les lieux.
Pour les artistes, la vie villageoise est avant tout un réseau vivant de relations entre les personnes, les lieux et les souvenirs. Lorsqu’un lieu disparaît ou que ses habitants s’en vont, ces liens se défont. Loin de céder à la nostalgie, les artistes adoptent une posture résolument active. Elles organisent des rencontres, initient des projets, provoquent des échanges — afin de raviver précisément ces connexions. L’exposition ne cherche pas à préserver le passé, mais à proposer de nouvelles formes de présence, d’action collective et de mémoire partagée.
Sur chacun des trois sites, elles ont travaillé en étroite collaboration avec les écoles — non comme de simples institutions, mais comme des vecteurs essentiels de lien. L’école, ici, est le point de jonction entre les générations : elle est le lieu où le village respire, où le savoir circule, où les idées prennent racine. Toute transformation d’un lieu passe par les personnes qui l’habitent, et toute transformation des personnes passe par l’éducation. C’est à travers l’école que le paysage peut se réinventer — par l’inspiration et l’imaginaire.

Bron et Sevez se positionnent moins comme créatrices que comme médiatrices. Elles initient, rassemblent, orientent avec douceur — en laissant émerger les idées de manière organique. Leur démarche contourne la logique de l’auteur-propriétaire et envisage l’art comme un travail sur et avec l’environnement. Or un environnement, par définition, est partagé ; sa transformation relève donc de la collaboration.
L’espace d’exposition s’articule autour de plusieurs tables conçues spécialement pour l’occasion, chacune correspondant à une activité : notes et photographies issues des actions dans les villages, comptes-rendus retraçant les projets, une table remplie de blocs de bois qui invite à retomber en enfance et à rejouer les jeux de construction — et bien sûr, les Mondailles. Ce mot intraduisible ne figure dans aucun dictionnaire, mais désigne une tradition rurale pluriséculaire : se réunir, parfois à l’échelle du village entier, pour casser ensemble des noix et en extraire les cerneaux.
Dans l’exposition, la Mondaille (une table sur laquelle repose un tas de noix à casser) devient un lieu d’échange et de parole. Le mobilier — des poufs faits de foin et de tissus imprimés par les artistes — participe à l’ambiance et évoque une sorte de salon rustique et contemporain. On pense aux moines savants des collèges médiévaux assis sur des meules de foin (comme le Collège de Sorbonne d’origine) : des lieux de débat, de friction intellectuelle. Cet esprit est réactivé ici. Ce n’est pas un décor à observer, mais un dispositif à investir, à déplacer, à partager. Des enregistrements sonores issus des ateliers et des rencontres emplissent l’espace. On y entend des voix humaines, des oiseaux, des vaches — tout un écosystème vivant. Le montage ne s’attarde pas sur la clarté ou la narration, est reste brut, polyphonique, vibrant.
Le récit oral constitue une méthode centrale dans le travail de Déborah Bron et Camille Sevez — se basant sur la tradition d’autrefois, quand le savoir était transmis par la parole. Ce retour à la transmission orale — des anciens aux nouveaux venus, des grands-parents aux enfants — devient un moyen de préserver ce qu’il y a de plus précieux dans le passé. À l’heure où l’internet nous donne accès à tout, il nous fait paradoxalement perdre ce qui est proche : les noms des plantes, les coutumes locales, les secrets du terrain. Le online oublie le offline — ce qui importe vraiment à l’échelle du village.
Ce que font Bron et Sevez, c’est réactiver un savoir qui n’existe que dans un lieu précis — un savoir qui ne se cherche pas, mais se vit. Ce faisant, elles proposent un refus discret mais déterminé de notre détachement numérique. Leur travail invite à réancrer notre attention sur notre environnement immédiat, à retrouver une forme de proximité.
Réactiver les lieux est, à bien des égards, une œuvre visionnaire. Modeste dans son ampleur (pour l’instant), elle ouvre pourtant des perspectives larges. Elle invite à repenser la communauté à une échelle réduite, sans tomber dans le piège de la gentrification rurale. Il ne s’agit ni de s’installer ni de conquérir, mais de réfléchir à la manière dont nous interagissons avec les espaces. Un lieu n’est pas un simple contenant : c’est une trame de relations symbiotiques.
Réactiver un espace par la mémoire, c’est le réintégrer dans notre inconscient collectif. Bron et Sevez ne produisent pas des objets, mais des interactions. Elles façonnent le paysage social en laissant derrière elles des traces de soin intergénérationnel.

Head image : Vue de l’exposition « Réactiver les lieux », Déborah Bron & Camille Sevez, 04.04 — 17.08.2025 © Frac Centre-Val de Loire.
- Partage : ,
- Du même auteur : Sanam Khatibi, Ho Tzu Nyen, GESTE Paris, L'été de la collaboration au CRAC Alsace et au CRÉDAC : “L’amitié : ce tremble” et "Tripple Dribble", Jonathan Binet à la galerie Balice Hertling,
articles liés
Daniela Palimariu
par Agnès Violeau
Don’t Take It Too Seriously
par Patrice Joly
Suchan Kinoshita / Béatrice Balcou
par Vanessa Desclaux