r e v i e w s

Banks Violette au BPS 22, Charleroi 

par Guillaume Lasserre

Banks Violette – The bees made honey in the lion’s skull (2005-2023)
Commissariat : Pierre-Olivier Rollin, BPS22, Charleroi. 
Du 20 février au 5 mai 2024. 

Banks Violette a 50 ans. Il élabore, depuis le milieu des années 2000, une œuvre composée de grandes sculptures minimalistes et d’installations faisant référence au théâtre, qui s’inspire du graphisme noir et blanc, et des atmosphères sonores du punk et du metal. L’ancien enfant terrible de l’art contemporain est retourné vivre à Ithaca, sa ville natale dans le nord de l’État de New York, en 2014. Cette même année, la Province de Hainaut, par le biais du BPS22, faisait l’acquisition de l’une de ses œuvres. Il faut dire que Banks Violette et Charleroi présentent des affinités minières. La région d’Ithaca est en effet célèbre pour ses mines de sel, et répond aux mines noires de charbon du Hainaut comme son négatif. Dix ans après cette acquisition, l’institution belge organise la première rétrospective de l’artiste en Europe à travers une quarantaine d’œuvres historiques et récentes, marquant son grand retour sur le devant de la scène artistique. Son titre, « The bees made honey in the lion’s skull », reprend celui d’un album de 2009 du groupe Earthdont le drone metal, initié par le fondateur du groupe, inspire l’artiste, tout comme d’autres styles issus du heavy metal. Banks Violette s’intéresse à l’imaginaire et à l’imagerie de ces sous-cultures depuis l’adolescence. 

Banks Violette, Sunn O)))(black stage coma mirror) 2006 @BPS22. ARKEN Museum of Contemporary Art. Photo Leslie Artamonow

L’exposition s’ouvre sur l’un des deux éléments de l’œuvre diptyque qui la structure, l’installation Sunn O))) (black stage/coma mirror) (2006), souvenir d’une performance que le groupe Sunn O))) a donnée depuis une scène située dans une espace complètement fermé, le chanteur étant placé dans le cercueil à l’avant-scène. Dans l’autre grande salle du centre d’art, lui faisant pendant, l’installation Sunn O)))/repeater (decay/coma mirror) (2006) – celle-là même qui fait partie de la collection de la Province de Hainaut depuis 2014 –, apparaît comme son évocation fantomatique, la réplique de la scène rongée par le sel. Ce dernier concentre tous les paradoxes : il stérilise et conserve à la fois. Instruments, piles d’amplificateurs, panneaux acoustiques… tout semble pétrifié, tandis que le cercueil désormais noir est totalement détruit. Cette trace du passé, d’un évènement qui a eu lieu, évoque le côté romantique de l’artiste, un romantisme à la Caspar David Friedrich qui, poussé dans ses excès, amène au nationalisme. 

Dès ses débuts, la cote de Banks Violette flambe sur le marché de l’art. Il devient le chouchou des galeries qui lui demandent de produire toujours plus. Il commence à prendre des drogues dures. Entre 2008 et 2020, l’artiste vit une période de retrait progressif de la scène artistique, ponctué de séjours en clinique de désintoxication. Il renoue avec les grandes installations en 2023, lorsque la maison de couture française Céline – Hedi Slimane avait déjà collaboré avec l’artiste dans les années 2010, lorsqu’il était chez Dior – lui commande un ensemble de quatorze grands lustres dont deux sont exposés ici. Conçus à partir de tubes fluorescents blancs industriels et nommés Thrones, ils sont autant d’autoportraits, tantôt triomphants, tantôt effondrés. Si ces sculptures sont minimalistes, les câbles pendent à la manière de chaînes. 

À l’étage, une étrange sculpture, prenant la forme d’une moto, couchée et comme pétrifiée, repose à même le sol. Le 1er janvier 2005, l’artiste américain Steven Parrino (1958-2005) meurt dans un accident de la route alors qu’il vient de fêter le réveillon du Nouvel An chez Banks Violette. Zodiac (F.T.U.)/74 ironhead SX (2008-2009) est la réplique exacte de la Harley-Davidson de Parrino. Chaque pièce a été moulée dans du silicone puis dupliquée avec un mélange de sel et de résine polyuréthane transparente, avant d’être assemblée au sol pour former la « moto-sculpture ». Sur le mur, derrière elle, un dessin représentant une rose déposée au sol vient accentuer l’hommage à celui qui l’a fait connaître sur la scène artistique. Dès ses premières expositions, Banks Violette expose des dessins en complément de ses installations et sculptures. L’exposition en présente une vingtaine, majoritairement datés de 2009 à 2022. Contrairement aux autres formes plastiques, il n’a jamais arrêté le dessin. Les images qu’il produit utilisent des symboles de l’american way of life qu’il détourne, tel le drapeau américain renversé, le mustang (cheval sauvage) représenté en négatif, un peu à la manière d’une imagerie médicale, ou encore l’inscription American standard, sur fond noir, reprise d’une célèbre marque de papiers toilette, ou des images plus tragiques de cette relation à la violence particulière aux États-Unis comme Bela Lugosi, le fameux acteur de Dracula, incarnant ici le Christ. 

Banks Violette, Sunn O)))_repeater (decay_coma mirror) 2006. Collection de la Province de Hainaut, dépôt au BPS22. Photo Leslie Artamonow

En redescendant dans la première salle, face à Sunn O))) se tient un mur courbe composé de seize miroirs éclatés lors du vernissage à l’aide de vérins hydrauliques situés à l’arrière de la structure. Avec cette sculpture performée de 2007, Banks Violette présente le résultat d’une action passée ayant conduit à une situation de chaos, un état de destruction qui serait spontanément ressenti comme négatif, mais que le concept de sympathy for the devil, propre à la culture rock et metal parvient à rendre séduisant. L’œuvre témoigne également de l’importance de l’envers chez l’artiste. Il s’oppose à l’endroit minimaliste et épuré en laissant visible tous les éléments de l’artifice, qu’il s’agisse des fils, des branchements, de l’enduit… Le revers joue le rôle de coulisse de l’œuvre. L’ensemble est très théâtral. 

Une scène brisée, structure en bois calciné, rappelant aussi bien l’architecture des scènes de concert que celle des installations de l’artiste minimaliste américain Sol Lewitt, présente, suspendue en son centre telle une potence, la réplique en sel et résine d’un micro. Les ombres d’arbres sans feuilles, reproduites à l’arrière-plan en ruban adhésif, complètent le décor à l’ambiance tragique de Voidhanger (twin channel)/all tomorrows grave (2006), nouvelle traduction pour l’artiste des thèmes favoris du romantisme allemand, à l’image du goût pour la ruine. L’exposition se termine par un cliché : une guitare brisée, objet blanc sur noir, réalisée dans cet alliage de sel et de résine. Elle reproduit une guitare Fender dessinée par Kurt Cobain peu avant sa mort et jamais commercialisée. Pour Banks Violette, les plus grands chiclés ont le sens le plus profond.  


Head image : Banks Violette, Voidhanger (twin channel)_all tomorrows graves 2006 @BPS22. Vanhaerents Art Collection (Bruxelles). Photo Leslie Artamonow


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