Corentin Canesson

par Marion Vasseur Raluy

Retrospective my eye, Le Crédac, Ivry-sur-Seine, 20.01-2.04.2017

Il est des journées où le soleil, finissant sa course dans les baies vitrées du Crédac, dévoile la force des couleurs de Corentin Canesson. Des toiles qui retiennent les derniers rayons de lumière et rappellent d’autres lieux et d’autres peintures. Sa série de quinze tableaux abstraits renvoie à un répertoire de peintres dont il s’approprie lascivement le travail. Il s’arroge le droit de reprendre l’ouvrage d’artistes disparus là où ils se sont arrêtés. L’emprunt peut paraître quelque peu arrogant mais Canesson l’aborde avec légèreté et plaisir. Peindre est un geste s’inscrivant dans l’histoire, le prolongement de l’œuvre d’un prédécesseur. Le jeune artiste cite ses aînés dans une volonté assumée de garder vivante leur pratique. Autant de dialogues entamés avec l’histoire de l’art, telle une conversation entre amis attablés au café. En ce sens, il aborde la notion d’amitié. Ainsi, il a invité Damien Le Dévédec à présenter deux masques posés sur une table. Ces masques furent à l’origine d’une série de toiles représentant un médecin. Damien envoie régulièrement des textes à Corentin pour que ce dernier les peigne. Leur complémentarité leur permettent de s’enrichir mutuellement.

Vue de l’exposition. Photo : André Morin / le Crédac.

Quant à la sculpture en forme d’oiseau de Jean Pierre Dolveck, elle est la résurgence matérielle d’un souvenir d’enfance. Corentin Canesson est allé piocher dans sa mémoire, chez ses amis et jusqu’aux réserves du Crédac. Il réanime des vestiges d’anciennes expositions : un socle de Mathieu Mercier, une chaise soutenant précédemment une œuvre de Liz Magor ou encore une porte peinte pour François Lancien-Guilberteau. En faisant appel à autant de figures, qu’elles soient amicales, symboliques ou fortuites, il construit une conversation vivante et en mouvement. Avec l’amitié, sujet naturellement peu évoqué dans l’art, il aborde les relations d’échange et de solidarité nécessaires à la construction d’une pratique. Il révèle le sens profond de ces liens. Son amitié avec Damien Le Dévédec, si elle dépasse le simple cadre de la vie professionnelle, alimente aussi le noyau dur de son œuvre. Dans un article publié dans la revue Mousse, Céline Condorelli revenait sur le concept de l’amitié et cherchait à le définir dans le contexte du travail. « L’amitié est un aspect fondamental du soutien personnel, une condition pour faire les choses ensemble. […] L’amitié, comme le soutien, est considéré ici comme une relation essentiellement politique, à la fois de fidélité et de responsabilité. Être ami implique un engagement, une décision, et inclut un positionnement implicite qu’aucune activité dans la culture n’implique. Dans la relation à ma pratique, l’amitié est, de manière la plus pertinente une relation au processus de travail : comme un moyen de travailler ensemble.» C’est ainsi que Corentin Canesson conçoit sa façon d’exercer son métier. L’essence collaborative de sa production est aussi palpable dans la musique, car le peintre également musicien a invité son groupe The night he came home à créer la bande son accompagnant l’exposition. Il a également peint chacune des pochettes de l’album. « Restrospective my eye », titre d’une des chansons du vinyle, est une référence aux paroles d’un morceau de Robert Wyatt.

De gauche à droite : Corentin Canesson, Sans titre, 2016 (ensemble de 3) ; Jean-Pierre Dolveck, Sans titre, 1985 ; Corentin Canesson, Samson et Dalila, 2016. Photo : André Morin / le Crédac.

L’artiste a également recouvert le sol d’une protection blanche permettant la mise en place d’ateliers de peinture et des modèles sont venus poser, l’espace est ainsi devenu une salle de classe pour amateurs ou experts le temps de quelques soirées. Nous entrons donc dans un lieu mais aussi dans une ambiance, entre l’atelier, l’appartement et la salle de répétition. La pratique de Corentin Canesson est toujours prétexte à discuter avec d’autres et à associer la pensée de ceux qui l’entourent, ceux qu’il admire et ceux qu’il aime. Le titre de l’exposition « Retrospective my eye » recouvre ainsi plusieurs acceptions. En tant que jeune artiste, la rétrospective semble prématurée. Corentin Canesson singe donc avec humour les institutions exposant souvent des figures majeures sous ce même format. La traduction, « rétrospective mon œil », est une expression grinçante et il l’utilise sur un ton moqueur, néanmoins il s’oriente plus spontanément vers la version anglaise signifiant « faire le tour de son œil ». L’artiste passe d’un humour pincé à une pensée sincère sur ce que signifie la peinture pour lui. Une chaleur poétique émane en effet de ses peintures, ce ressenti je l’ai déjà éprouvé lors de la découverte de son exposition à Palette Terre. Les réminiscences de sa peinture figurative sont encore présentes au Crédac : ses oiseaux, couple symbolique accroché sur une des baies vitrées, sont un clin d’œil rieur, un autoportrait à peine masqué qui invite à prendre place à sa table et à poursuivre la discussion.

De gauche à droite : Corentin Canesson, Messidor, 2016 ; Corentin Canesson, Présence humaine, 2014 ; Corentin Canesson, Prague, 2014. Photo : André Morin / le Crédac.

Par ailleurs, Corentin Canesson publie en parallèle de cette exposition le livre Myrha en collaboration avec la maison d’édition Holoholo, dans lequel il présente une série de dessins érotiques.

1 Céline Condorelli, “Reprint”, Mousse n°32, p. 222.

(Image en une : Corentin Canesson, vue de l’exposition Retrospective My Eye, Centre d’art contemporain d’Ivry – le Crédac, 2017. © André Morin / le Crédac. Au premier plan : Damien Le Dévedec, × (tirage n°1), 2017 ; Damien Le Dévedec, + + (tirage n°3), 2017. Au second plan : Corentin Canesson, Sans titre, 2016 (ensemble de 3).)


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