Nicolas Bourriaud

par Clémence Agnez

Entretien

Arrivé à la tête de La Panacée au début de l’année 2016, Nicolas Bourriaud, critique d’art, co-fondateur du Palais de Tokyo et ancien directeur de l’école des Beaux-Arts de Paris, y déploie, avec l’équipe du centre d’art, un programme d’expositions et de productions qui met en avant des artistes et des curateurs français et internationaux. En 2017, La Panacée devient l’une des composantes du MoCo — méta-structure qui inclut également l’école supérieure des Beaux-Arts de Montpellier et le futur Musée des collections dans l’Hôtel de Montcalm — dont l’inauguration est fixée au 29 juin 2019. Désormais à la direction de ces trois sites, Nicolas Bourriaud instaure, avec l’aide des équipes en place, des liens puissants entre chacune de ces composantes qui s’éclairent et se nourrissent mutuellement. Afin de célébrer l’ouverture du Musée des collections, le MoCo présentera « 100 artistes dans la ville », une exposition qui s’étendra sur tout le territoire du centre ville de Montpellier ainsi qu’à Sète, commune voisine partenaire de l’évènement.  

Nous sommes à la veille de l’ouverture de l’Hôtel de Montcalm, ou encore Musée des collections, dernière composante du MoCo, l’EPCC[1] montpelliérain que vous dirigez depuis fin 2016 et qui comprend le centre d’art La Panacée ainsi que l’école d’art ESBAMA devenue ESBA-MoCo. Pouvez-vous revenir sur la genèse de ce projet tricéphale et sur les missions qui vous ont été confiées à votre arrivée à la tête de l’EPCC ?

Je suis arrivé à Montpellier fin 2015, en solitaire, avec la mission initiale de concevoir un lieu d’art contemporain dans l’Hôtel de Montcalm. Le maire et président de la métropole, Philippe Saurel, m’a juste donné deux mots d’ordre : créer une institution innovante et l’insérer dans un « parcours d’art » dans la ville. Début 2016, avec le départ de Frank Bauchard, j’ai pris la direction artistique de La Panacée qui était alors un centre culturel dédié aux nouveaux médias. Puis, établir un lien avec l’école, assez isolée, est apparu au fil des rencontres comme une évidence. Des deux côtés, on a vu la dynamique qu’une fusion pouvait nous apporter. J’avais alors tous les éléments du puzzle. Il ne restait qu’à concevoir un assemblage cohérent, et à en tirer parti pour inventer une institution poly-fonctionnelle. Au lieu de créer un établissement public à partir de rien, j’ai inséré La Panacée dans celui de l’ESBAMA, ce qui donnait un sens à la notion de « coopération culturelle » contenue dans l’intitulé… J’ai pris la tête de cette nouvelle institution dès sa création, et cette fusion des énergies donne à l’ouverture du Musée des collections une toute autre envergure que s’il avait été conçu isolément.


Photo : Yohann Gozard.

Vous avez dû définir les modalités de travail et la teneur des relations qui allaient s’établir entre La Panacée et l’école d’art. Quels étaient pour vous les enjeux de cette mise en commun et quelles actions concrètes ont pu être conduites depuis la refonte de ces deux institutions au sein d’une structure commune ?

Tout cela part de quelques constats : d’une part, la métropole de Montpellier avait besoin d’une institution susceptible de rassembler, de dynamiser, plus que d’un simple lieu muséal. Il y a beaucoup d’énergies ici, mais elles avaient tendance à rester chacune dans leur coin. Par exemple, la seule manifestation que j’ai conservée de l’ancienne programmation de La Panacée a été « Drawing Room » (qui va bientôt se transformer en « Boom »), une initiative de l’association des galeries d’art de Montpellier. Plutôt qu’un centre d’art mono-fonction, concentré sur l’exposition, nous avons construit une sorte de générateur qui traverse la ville historique et qui va de la formation jusqu’à la collection, en passant par la production, l’exposition et la médiation de l’art. Le maire et moi sommes tombés d’accord sur un autre constat : cette institution devait s’appuyer sur le centre-ville, sur une dynamique de réhabilitation d’espaces plutôt que sur la construction d’une architecture-logo venant se poser en périphérie. L’idée consistait à faire advenir une nouvelle génération d’institutions, plus ouvertes sur leur contexte : un écosystème entier plus qu’un bâtiment. Un objet horizontal davantage qu’une tour. Et, enfin, que l’ensemble contribue à la régénération de la scène artistique locale. C’est la logique du village contre celle du hangar, si vous voulez… Concrètement, les artistes et les penseurs qui viennent pour le centre d’art passent aussi par l’école, et les étudiants peuvent travailler avec des intervenants prestigieux, qu’il s’agisse d’un workshop ou d’une visite d’atelier. En retour, le cursus de l’école inclut la participation des étudiants à la vie générale de l’institution. Nous bénéficions également d’une résidence étudiante, située à l’étage de La Panacée, où vivent environ vingt-cinq étudiants de l’ESBA.

Photo : Yohann Gozard.

Le 29 juin 2019, le Musée des collections va venir compléter l’action engagée depuis 2016 avec l’école d’art et le centre d’art et d’expérimentation La Panacée. Tandis que l’école forme les artistes et acteurs du monde de l’art à venir et que La Panacée présente des projets d’artistes et de curateurs en prises avec les problématiques politiques et artistiques les plus récentes, le Musée des collections est destiné à présenter des expositions temporaires d’envergure à partir de collections du monde entier mais sans abriter lui-même son propre fonds. Pouvez-vous nous dire ce qui le distinguera du projet de La Panacée et quelle ligne curatoriale présidera à la conception des ses expositions ? 

Dans ce dispositif, La Panacée demeurera un centre d’art, c’est-à-dire un lieu de production et d’exposition, plus particulièrement dédié aux artistes émergents — nous allons d’ailleurs y présenter cet automne trois solo shows d’Ambera Wellmann, Caroline Achaintre et Estrid Lutz. La programmation du Musée des collections, comme son nom l’indique, sera exclusivement consacrée à des expositions issues de collections privées ou publiques. Ce ne seront pas de simples présentations, mais des expositions curatées, un point de vue spécifique sur une collection.

L’idée consiste à souligner la singularité et les motifs (esthétiques, ou autres) que renferme chaque projet de collection : ce qu’elle a à nous dire, en somme. La facilité serait de commencer avec des standards, comme Rubell ou Pinault, mais l’exposition inaugurale, dont la commissaire est Yuko Hasegawa, est réalisée à partir d’une collection japonaise, personnelle et intime, basée sur un rapport très singulier aux artistes, puisque Monsieur Ishikawa a aussi, par exemple, crée la triennale d’Okayama, qu’il a confiée cette année à Pierre Huyghe. Il y a un certain nombre de chefs d’œuvre dans sa collection, dont une remarquable série de Date paintings d’On Kawara. En règle générale, nous nous attacherons plutôt aux collections atypiques et singulières, ou à un aspect méconnu d’une plus grande collection. Et, à l’automne, c’est un fonds public russe qui sera présenté, totalement méconnu en raison de son histoire tumultueuse : je veux parler de la fameuse Collection Tsarytsino, constituée par Andrei Erofeev dès les années 1980 en vue de la constitution d’un musée d’art contemporain qui n’a jamais vu le jour… J’ai demandé à Andrei de proposer un projet d’exposition à partir de ce fonds qui sommeille depuis une vingtaine d’années dans les réserves de la Galerie Tretiakov : c’est toute l’histoire de l’art contemporain en URSS, puis en Russie. En résumé, le Musée des collections va aborder l’univers (en expansion) des collections par un versant moins convenu que celui du marché de l’art. Loin de célébrer les méga-collectionneurs et les stars du marché, nous souhaitons au contraire montrer que les pratiques des collectionneurs, publics comme privés, sont liées à des représentations du monde. Le Musée des collections, ce sera des points de vue au carré…

Pierre Huyghe, Zoodram 4, 2011. Écosystème marin vivant, aquarium, masque en résine d’après La Muse endormie (1910) de Constantin Brancusi, 76 × 134,5 × 98,5 cm. Collection Ishikawa, Okayama, Japon. Courtesy Pierre Huyghe ; Esther Schipper, Berlin ; TARO NASU, Tokyo. Photo : Guillaume Ziccarelli. © Pierre Huyghe.

« 100 artistes dans la ville » est la manifestation qui va accompagner l’inauguration du Musée des collections : conçue pour s’échelonner sur près de deux mois, chaque intervention aura sa temporalité et son espace propre. Cent artistes ou collectifs vont ainsi investir l’espace public montpelliérain pour y présenter des œuvres inédites ou y conduire des actions spécifiquement pensées pour l’évènement. Outre le désir de faire escorte à l’ouverture de l’Hôtel de Montcalm, qu’est-ce qui a guidé vos choix dans l’élaboration de cette manifestation ?

Quand je suis arrivé à Montpellier, j’ai appris l’existence d’une exposition qui avait eu lieu ici en 1970 et dont les commissaires étaient quatre artistes réunis dans le collectif ABC, à savoir Vincent Bioulès, Tjeerd Alkema, Jean Azémar et Alain Clément. Ils avaient invité cent artistes, exactement, à réaliser des projets dans le centre-ville, ou à exposer leurs œuvres. Peu de temps après cette découverte, le maire m’a demandé de réfléchir à une manifestation susceptible de se dérouler autour de l’inauguration… Comment mieux accompagner l’ouverture de le Musée des collections qu’en rendant hommage à ce format d’exposition qui fait partie de l’histoire de la ville ? J’ai donc essayé de respecter son ADN : centrée sur la scène française (mais comprenant beaucoup plus d’artistes locaux qu’en 1970), elle sera tout aussi éclectique, puisque la manifestation originelle comprenait aussi bien les artistes de Supports/Surfaces que Ben, Anselm Kiefer, Christian Boltanski, Annette Messager, Vladimir Velickovic ou Sheila Hicks… « 100 artistes dans la ville » sera aussi un parcours, allant plus ou moins du Musée des collections jusqu’aux Beaux-Arts, en passant par La Panacée ou nous accueillerons l’exposition de Hou Hanru, « La Rue ». Et ce parcours est une traversée du centre historique de Montpellier, qui est, peu de gens le savent, la plus grande zone piétonne d’Europe après Venise. Cette exposition à ciel ouvert a aussi été l’occasion de travailler avec les acteurs du monde de l’art de la métropole, et de poser les bases d’une collectivité artistique.

Shimabuku, Swan goes to the Sea, 2014. Performance. Imagineering: Okayama Art Project. Courtesy Shimabuku. © Shimabuku.

[1] Établissement Public de Coopération Culturelle.

Image en une : Ryan Gander, Tell my mother not to worry (iii), 2012. Marbre, résine, 84 × 57 × 149 cm. Courtesy TARO NASU. Photo : Keizo Kioku. © Ryan Gander


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