Venise 2013 : Premières impressions de la biennale

par Antoine Marchand

Avant de revenir plus longuement dans le prochain 02 sur l’exposition curatée par Massimiliano Gioni, premières impressions sur cette 55e édition de la Biennale de Venise avec, puisque c’est désormais une tradition à notre retour de la Sérénissime, notre palmarès à nous à travers pavillons nationaux et expositions in ou off qui ont ponctué ce rendez-vous international.

CÔTÉ JARDINS

Lion d’or pour la justesse et l’humour à Alexandra Pirici et Manuel Pelmus pour la Roumanie

Notre COUP de cœur ! Le pavillon roumain sis dans les Giardini accueille l’Immaterial retrospective of the Venice Biennale d’Alexandra Pirici et Manuel Pelmus. Loin du caractère grandiloquent qui caractérise habituellement les projets rétrospectifs, c’est un pavillon vide qui s’offre ici à nous, simplement habité par un groupe de performers « rejouant » des œuvres exposées auparavant à Venise. D’Ernesto Neto à Vito Acconci, en passant par le Guernica de Picasso, Mondrian ou Klimt, c’est toute une histoire de la Biennale qui défile ainsi devant nos yeux, entre hommage et parodie. La meilleure réponse au Palais encyclopédique terne et figé de Massimiliano Gioni.

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Immaterial retrospective of the Venice Biennale d’Alexandra Pirici et Manuel Pelmus

Immaterial retrospective of the Venice Biennale d’Alexandra Pirici et Manuel Pelmus

Lion d’or pour le traitement d’un sujet politique à Richard Mosse pour l’Irlande

La découverte ! À dire vrai, on ne savait quasiment rien de ce jeune artiste, né en 1980. The Enclave, plongée dans les territoires rebelles de l’Est de la République Démocratique du Congo, nous aura toutefois profondément marqué. Entièrement filmée en Kodak Aerochrome – un type de film habituellement utilisé à des fins militaires pour détecter les camouflages –, qui donne des nuances roses à tous les plans, cette sextuple projection flirte constamment avec le kitsch (et on avoue volontiers avoir eu un peu peur des photos de presse reçues en amont), mais parvient néanmoins à nous captiver par la tension palpable dans chacun des plans filmés par Mosse. La beauté des images se confronte ainsi avec justesse à la violence des situations, encore renforcée par un dispositif qui permet une immersion totale dans l’installation. L’un des rares moments politiques de cette 55e Biennale.

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Richard Mosse (Irlande), The Enclave, 2013. Six-screen film installation, color infrared film transferred to HD video. All images of the installation courtesy of the artist and Jack Shainman Gallery. Photos by Tom Powel Imaging Inc.

Richard Mosse (Irlande), The Enclave, 2013. Six-screen film installation, color infrared film transferred to HD video. All images of the installation courtesy of the artist and Jack Shainman Gallery. Photos by Tom Powel Imaging Inc.

Lion d’or pour le premier pavillon japonais qu’on peut citer dans 02 à Koki Tanaka pour le Japon, donc.

Le pavillon japonais de Koki Tanaka porte les stigmates de la catastrophe de Fukushima. Comment s’organiser pour surmonter le pire ? Comment travailler ensemble à la construction d’une nouvelle société ? Comment l’art peut-il répondre à un tel événement ? Autant de questions auxquelles l’artiste a répondu par une série de « micro-situations », réunies sous la forme de films et documents. Il s’agit parfois simplement de petits moments assez anecdotiques – faire jouer 5 pianistes sur le même instrument, réaliser une poterie à plusieurs, se mettre à 9 coiffeurs pour couper les cheveux d’une demoiselle… –, mais qui témoignent tous d’alternatives, aussi utopiques et dérisoire soient-elles, à l’individualisme forcené de nos sociétés contemporaines. Ce pavillon offre par ailleurs un bel écho à la dernière Documenta, dont de multiples propositions (Theaster Gates et Jérôme Bel en tête) se penchaient sur ces mêmes problématiques d’expériences collectives et communautaires.

Koki Tanaka

Koki Tanaka

Mention spéciale pour l’appropriation culturelle 2.0. à Mathias Poledna pour l’Autriche

À citer également, le pavillon autrichien de Mathias Poledna. Imitation of Life convoque l’âge d’or du film d’animation américain, à la fin des années 1930, pour mieux faire écho aux relations américano-européennes de l’époque : confrontation entre l’art européen et le développement de la culture de masse outre-atlantique, émigration du vieux continent vers les Etats-Unis pour fuir le nazisme, présentation de films produits par les studios Disney lors des premières Mostra… Le contraste est saisissant entre la légèreté du film – plongée dans l’univers des productions Disney, avec force chants, oiseaux et chorégraphies – et le message sous-jacent porté par ce film 35 mm d’à peine 3 mn. Les paroles entonnées par le principal protagoniste, « I got a feelin’ you’re foolin… foolin’ with me », extraites d’une chanson écrite par Arthur Freed dans les années 1930, ne font d’ailleurs que renforcer cette ambigüité.

Image tirée de « Imitation of Life » (2013), un film de Mathias Poledna (Autriche). Courtesy de Mathias Poledna ; Galerie Meyer Kainer, Vienna ; Galerie Buchholz, Cologne/Berlin ; Richard Telles Fine Art, Los Angeles

Image tirée de « Imitation of Life » (2013), un film de Mathias Poledna (Autriche). Courtesy de Mathias Poledna ; Galerie Meyer Kainer, Vienna ; Galerie Buchholz, Cologne/Berlin ; Richard Telles Fine Art, Los Angeles

Mention spéciale pour la valeur sûre qui fait toujours du bien à Jeremy Deller pour la Grande-Bretagne

Parmi les stars incontestées, le film English Magic de Jeremy Deller restera certainement le hit de cette Biennale et à raison. Notre trublion du vernaculaire préféré poursuit sa réflexion, aussi ludique qu’essentielle, sur la société britannique avec cette vidéo magistralement poétique qui fait le lien entre nombre de ses œuvres. Et pour les fans qui n’ont pas prévu de passer à Venise cet été, le partageur gardien de Sa Majesté le propose en ligne :

Jeremy Deller’s English Magic at Venice Biennale – exclusive video

DELLER / Royaume-Uni. Entrance to Jeremy Deller's English Magic exhibition at the Venice Biennale 2013. Photo : Cristiano Corte

DELLER / Royaume-Uni. Entrance to Jeremy Deller’s English Magic exhibition at the Venice Biennale 2013. Photo : Cristiano Corte

DELLER / Royaume-Uni. Jeremy Deller, St Helier on Fire (following a riot against Jersey’s status as a tax haven). Photo : Cristiano Corte

DELLER / Royaume-Uni. Jeremy Deller, St Helier on Fire (following a riot against Jersey’s status as a tax haven). Photo : Cristiano Corte

Mention spéciale pour le tas de cailloux le plus attendu de l’année à Lara Almarcegui pour l’Espagne

Le pavillon espagnol de Lara Almarcegui se divise en deux parties. Une réflexion tout d’abord sur le bâtiment lui-même, et à l’étage une vidéo qui revient sur l’histoire de la Sacca San Mattia, une île artificielle à Murano formée suite à un amoncellement de déchets. S’il est sans surprise formellement, avec ses tas de matériaux de construction, il reste tout de même de très bonne tenue.

Mention spéciale pour la perte de fragilité (et donc de poésie) à Anri Sala pour la France

Quant au pavillon français d’Anri Sala, variation autour d’un concerto de Maurice Ravel, on pourrait le diviser en deux parties. La première, dans la salle principale, consiste en une double projection, se concentrant sur les mains de pianistes jouant donc le Concerto en ré pour la main gauche. Extrêmement spectaculaire, techniquement parfaite, elle est en revanche vide de toute émotion. Les deux projections annexes, moins grandiloquentes, et qui mettent en scène Chloé, sont elles bien plus intéressantes.

À LA VILLE

Mention spéciale pour le partenariat Saint-Maclou à Rudolf Stingel au Palazzo Grassi

Hors pavillons, le remarquable projet de Rudolf Stingel au Palazzo Grassi a retenu notre attention. L’artiste italien s’est offert un étonnant écrin pour accueillir ses œuvres. Le contraste entre cette moquette reprenant le motif scanné et agrandi d’un tapis kilim afghan, qui recouvre tous les sols et murs du palais, et les peintures hyperréalistes de Stingel crée un jeu de focus extrêmement perturbant. Soulignons au passage le rôle de mécène de François Pinaut, qui prend tout son sens dans un projet de cette envergure. Bien plus en tout cas que dans la très décevante exposition de sa collection à la Pointe de la douane, qui ne fait qu’enfiler les stars du marché, sans véritable ambition ou propos curatorial.

Rudolf Stingel. Untitled, 2013. Vue de l’exposition au Palazzo Grassi, Venise

Rudolf Stingel. Untitled, 2013. Vue de l’exposition au Palazzo Grassi, Venise

Mention spéciale pour l’enterrement en grande pompe à « Quand les attitudes deviennent forme », Bern 1969/Venise 2013 à la Fondation Prada

Un dernier mot enfin sur l’un des projets les plus attendus de cette Biennale, sis à la Fondation Prada. En effet, « rejouer » 44 ans après la cultissime exposition « Quand les attitudes deviennent forme » d’Harald Szemann relevait de la gageure. C’est à Germano Celant, accompagné de Thomas Demand et Rem Koolhaas, que revenait cette délicate mission. Si recréer, à l’intérieur du Ca’ Corner della Regina, l’architecture de la Kunsthalle de Berne s’avère un choix curatorial audacieux et réussi, on ne sera pas aussi enthousiaste sur le « reenactment » lui-même. Une fois l’effet de surprise architectural passé, on a plutôt la désagréable impression de déambuler dans un mausolée, sans jamais retrouver une once de l’énergie de l’exposition originelle. Reste tout de même la satisfaction de (re)voir nombre d’œuvres majeures des cinquante dernières années, et une énième occasion de souligner le génie de Szeemann.

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PRADA. « When Attitudes Become Form: Bern 1969/Venice 2013 » / Fondazione Prada, Ca' Corner della Regina, Venise. Photo : Marta Galli

PRADA. « When Attitudes Become Form: Bern 1969/Venice 2013 » / Fondazione Prada, Ca’ Corner della Regina, Venise. Photo : Marta Galli


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