r e v i e w s

Superamas, phase 4 « La Cavalerie »

par Alexandrine Dhainaut

Guillaume Pellay

CAN, Neuchâtel – du 24 février au 13 avril 2013

Un postulat de départ simple : « l’autocritique institutionnelle », la mise à mal du white cube, pour un résultat dense, complexe mais remarquable. Un projet s’étalant sur une année, divisée en plusieurs phases arrêtées (selon un découpage calendaire) et néanmoins instables (une phase connaît plusieurs évolutions, enchaînant les accrochages et démontages, les allées et venues d’œuvres et d’intervenants), pour une exposition in progress qui réunit et brouille les rôles entre les artistes et l’équipe curatoriale du CAN. En l’état, la phase 3 de « Superamas » intitulée « La Technique des sentiments » s’achève. La clé de voûte de celle-ci a été l’exploration d’une grotte, située à Dampierre-sur-Loire dans l’ouest de la France, étalée sur trois niveaux spatiaux et temporels (à la fois grotte troglodyte du XVe siècle, carrière de craie sableuse et champignonnière du XXe siècle) et devenue trois semaines durant le terrain de vie et d’expérimentations souterraines de l’équipe du centre et d’une dizaine d’artistes (parmi lesquels on ne s’étonnera pas de trouver les frères Chapuisat, grands adeptes d’excavations en tous genres). De cet arpentage plus ou moins dangereux des 13 000 m2 de grotte, la communauté spéléo-artistique n’a pas gardé de trace réelle. Il ne s’agit pas ici de documenter la chose mais de faire œuvre d’une expérience subjective, d’en créer des images ou une matière textuelle suffisamment liminaires et énigmatiques pour engendrer de la fiction, enclencher un jeu de va-et-vient entre la grotte que nous ne verrons et ne visiterons jamais et les œuvres présentes dans l’exposition. C’est le récit, la rumeur d’un lieu invisible et pourtant omniprésent qui importent. Car tout nous ramène à Dampierre-sur-Loire : une trouée dans un coin du mur du rez-de-chaussée réalisée par Guillaume Pellay laisse découvrir un couloir étroit rappelant les boyaux d’une grotte ; sur un bureau, un script « à l’envers », rédigé à partir d’images vidéo documentaires existantes et un exemplaire de L’Île mystérieuse de Jules Verne, en résonance à la mort de l’explorateur qu’a mise en scène Maxime Bondu dans une toile attenante. La veillée mortuaire qu’il crée a lieu dans les tréfonds de la grotte, le défunt n’est autre que l’artiste lui-même et les veilleurs le reste de l’équipe. Un champignon de Beat Lippert dont l’énergie alimenterait une diode rappelle le passé mycologue de la grotte et, derrière la baie vitrée de la salle d’exposition, une reconstitution par Arnaud Pearl de l’intérieur d’un mobil home où les curateurs ont vécu le temps de l’exploration.

La phase 4 qui lui succède, intitulée « La Cavalerie », garde volontairement les traces et les éléments du chantier des accrochages précédents. Elle prolonge cette instabilité des formes qui a présidé aux phases successives par une série de performances de Bruno Jakob, Marie Cool et Fabio Balducci, ainsi que par des œuvres de Bruno Botella et Andrew Lord. Dans des rituels semblables (extrême préparation des objets et matériaux de leur performance et exécution de gestes répétitifs dans un silence quasi religieux), Jakob et Cool / Balducci offrent un temps subjectif hypnotique qui évolue uniquement à la lumière du jour, à contre-pied de l’éclairage artificiel habituel des salles d’exposition. Leur travail s’exprime à partir de matériaux pauvres : peinture à l’eau, vapeur, air, ou captations d’onde pour Jakob ; fil, eau, feuilles de papier et crayons pour Cool. La disparition quasi magique par capillarité du fil de coton blanc tendu de Marie Cool dans quelques millimètres d’eau ou le filet de cheveux poivre et sel suspendu de Bruno Botella relèveraient d’un artisanat de la disparition, d’œuvres qui se dérobent, à l’image du projet entier du CAN, tentant d’exposer sans figer tout à fait ou d’accueillir la part insaisissable d’une œuvre. Encore en phase expérimentale à ce jour, Bruno Botella travaille une sculpture à tâtons d’après les visions provoquées une fois ses mains enfouies dans une argile verte contenant une substance psychotrope.

« Superamas » interroge les liens entre artistes et institution. L’équipe curatrice du CAN et les artistes se sont aventurés durant une année (cette dernière phase en marque le terme), poussant les limites du principe expositionnel, même si au final le projet ne peut échapper à un lieu central de monstration. Cependant tout l’intérêt de la chose repose sur cette prise de risque-là : aller de concert, artistes et commissaires, jusqu’à la ténuité même des choses.


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