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She-Bam Pow POP Wizz ! Les Amazones du POP

par Sandra Barré

MAMAC, Nice, 03.10.2020-28.03.2021

Pour célébrer les trente ans du MAMAC de Nice, l’exposition « She-Bam Pow POP Wizz ! Les Amazones du POP » propose une écriture exclusivement féminine de l’histoire du pop art, où émergent quelques artistes encore peu connues comme l’Espagnole Isabel Oliver ou l’Italienne Lucia Marcucci. De 1952 à 1973, ces artistes femmes, souvent passées sous silence, accolent les procédés d’accumulation, d’assemblage, de peinture domestique et d’hyper-esthétisation du corps féminin à des revendications sociales émancipatoires.

Cette entreprise de considération d’une autre possibilité historique du pop art est un travail de longue haleine que les deux commissaires, Hélène Guénin, directrice du MAMAC, et Géraldine Gourbe, philosophe de l’art et critique d’art, ont entamé scrupuleusement. La production de ces années 1960 ne sera pas interprétée par le prisme de nos connaissances théoriques contemporaines. Il s’agit ici d’envisager la place du féminin ainsi qu’il était alors perçu. Pour exister, pour s’émanciper, toute une frange des artistes femmes – et ce, particulièrement dans le mouvement pop –, s’est agrippée à l’image de l’indomptable héroïne de bande dessinée, sexy et érotique, qui explore le monde comme ont pu le faire Barbarella (Jean-Claude Forest, 1962), Jodelle (Pierre Bartier et Guy Peellaert, 1966) ou Pravda la Survireuse (Pascal Thomas et Guy Peellaert, 1968). À l’époque, ces héroïnes réelles ou fantasmées doivent reconnaissance, visibilité et possibilité d’action à cette sensualité qui les définit, Marilyn Monroe et Brigitte Bardot en font exemple. Chanteuses et actrices deviennent des modèles actifs. Cette hypersexualisation engluée dans le male gaze s’envisage comme un superpouvoir rendu largement accessible par la pilule contraceptive et se traduit dans les silhouettes suggestives des œuvres d’Évelyne Axelle, de Marjorie Strider ou d’Ángela García. Les couleurs sont chatoyantes, elles vibrent, explosent le cadre des toiles pour s’imposer aux regards.

Kiki Kogelnik, Female Robot, 1964, Huile et acrylique sur toile, 122,6 x 183,4 cm. Centre Pompidou, Paris – Musée national d’art moderne/centre de création industrielle. Copyright (1964) Fondation Kiki Kogelnik. Tous droits réservés.

Trop longtemps contraint dans une certaine bienséance, le désir féminin s’empare de celui tracé par l’œil masculin pour pouvoir exister. L’érotisme vécu dans un temps de libération sexuelle est palpable dans les carnets de Dorothy Iannone ou Nicolas L, ou, bien sûr, dans le film Fuses de Carolee Schneeman. Les femmes refusent le sage « Éternel Féminin » décortiqué par Simone de Beauvoir dans le Deuxième Sexe et publié quelques années plus tôt, en 1949. Elles revendiquent un corps qui sent et ressent, et dont la conscience intime a longtemps été tue au profit d’une nature spirituelle pensée vers le don de soi. À partir de cette libération, le corps se veut conscient et il jouit des mêmes envies que celles de ceux que l’on désigne comme « masculins ». Souvent morcelée, chaque parcelle de peau est à considérer. Non sans humour, les corps se modèlent à l’espace, comme le font les lampes-yeux (L’œil, 1969) ou le Siège Pied (1968) de Nicolas L et vont flirter avec une certaine idée du futur. Kiki Kogelnik, par exemple, ajoute à cette fragmentation l’imaginaire de la science-fiction. Dans des peintures où des jambes flottent, les formes, simples et colorées, se tournent vers l’utopie d’un monde où femmes, hommes et machines seraient en paix. Avec les premiers pas sur la Lune, l’art ouvre une porte vers la promesse d’un ailleurs paisible et tolérant et mêle l’esthétique futuriste à l’espoir d’une vie meilleure.

Cette promesse du futur est désespérément vive dans un monde où les désastres des empires coloniaux poussent à de sanglantes guerres. Les artistes femmes du pop art n’hésitent d’ailleurs pas à envisager l’art comme permettant une prise de position favorable à l’indépendance : les collages de Martha Rosler critiquent les bourgeois cramponnés à leurs privilèges, Ulrike Ottinger dépeint la « Journée d’un GI » (1967) et Niki de Saint Phalle, avec son Autel OAS, dénonce le terrorisme (cette artiste est particulièrement mise à l’honneur dans cette exposition, le musée détenant une importante collection de ses travaux). En s’emparant de sujets, comme la guerre, historiquement dévoués aux hommes, les artistes du pop rebattent les cartes figées des intérêts genrés.

Lucia Marcucci, Whop!, 1970, Technique mixte et collage sur carton, 50 x 35 cm. Courtesy de l’artiste et de Frittelli arte contemporanea, Florence © ADAGP, Paris 2020. Tous droits réservés

Il est vrai que jusqu’alors, les femmes n’étaient pas destinées à se passionner pour ce qui se passe à l’extérieur de leur maison. L’après Seconde Guerre mondiale l’avait commandé : elles devaient rester chez elles, s’occuper du logis et acheter de fabuleuses choses leur permettant d’être belles et de dorloter mari et enfants. Cette femme au foyer plébiscitée par l’Amérique semble s’établir comme l’exact pendant de l’héroïne sexy. Deux choix possibles : la sainte ou la putain. Si le statut assumé du corps sexuel fait encore aujourd’hui débat dans la production des théories féministes, interrogeant la possibilité d’être à la fois sexy, selon ce qu’en détermine le male gaze, et féministe, le bannissement du statut de la housewife, lui, fait consensus. Pour Évelyne Axelle, Martha Rosler ou Luccia Marcucci, la liberté rêvée ne s’acquiert pas en restant à la maison. En employant un vocabulaire visuel domestique et en le moquant, les artistes pop alimentent cette recherche émancipatoire.

Avec ces « Amazones » ayant investi le cœur de Nice, les guerrières-femmes dont l’image s’est infusée dans la culture populaire, s’habillent de toiles, de photographies, d’objets de design et de films. Elles défient ceux que l’on appelle « les papes du pop » dans la course à qui fait l’histoire de l’art et montrent, dans une scénographie acidulée, une étape aux enjeux sociaux complexes où l’art a traduit, et traduit encore, l’une des analyses occidentales du « féminin ».

Image en une : Marjorie Strider, Girl With Open Mouth, 1963, Acrylique sur isorel et relief en bois, 152,4 × 152,4 × 15,2 cm. Collection Michael Chutko. Photo : Michael Chutko


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