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Les dérives de l’imaginaire

par Pauline Mari

Inauguré à la rentrée, le premier volet d’« Imaginez l’imaginaire », conçu au Palais de Tokyo par le commissaire Julien Fronsacq, est un début prometteur. Si le titre choisi, « Les dérives de l’imaginaire », est attrayant, le thème de l’errance aurait pu démotiver le spectateur rompu à ce genre de sujet : on l’étudiait encore l’an passé au Centre Pompidou-Metz avec « Erre : variations labyrinthiques ». Or, c’est une lecture étonnamment plus libre qui nous est offerte ici en compagnie de vingt-quatre artistes.

Le parcours se laisse arpenter avec suspense, peut-être parce qu’il explore des temporalités suspendues. Ce sont en effet celles qui accompagnent la gestation de l’œuvre, ce fameux « acte créateur », expression que la critique d’art contemporain a prise en horreur pour toutes les connotations passéistes et pompeuses qu’elle renferme.

L’exposition s’ouvre sur un espace quasi vacant dédié à la projection de L’Après-midi d’un faune (2010), une vidéo du peintre David Hominal filmée en caméra subjective où la main de l’artiste appréhende à tâtons les surfaces de son atelier. Moins qu’un portrait déguisé, il est ici question du « désœuvrement ». Une telle entrée en matière trouve aussitôt écho, à quelques mètres de là, dans la sculpture conceptuelle de Richard Baquié, Sans titre (1985), de larges plaques d’imprimerie offset en métal rouillé affichant « Le temps de rien ». La leçon est donnée : il n’est rien, pas même la tautologie, qui puisse imposer à l’art un degré zéro. Quant au « manque de temps » auquel l’énoncé nous sensibilise, ce dernier se voit démenti par l’immobilisme patent de l’objet. Toutes ces « dérives » de sens, finalement, préservent l’art du nihilisme.

Entre Hominal et Baquié prend place une proposition de Ryan Gander. Elle est curatée par Akiko Miki et s’intitule Esperluette (en anglais « Ampersand »), en référence au logogramme « & ». On y voit divers objets du quotidien défiler sur un tapis roulant aménagé dans un diorama : kit de survie, ventilateur Dyson, pack Ryanair, sacoche de William Morris… Tous ces accessoires a priori impersonnels s’avèrent dotés d’une histoire propre, un index étant fourni à proximité. Ainsi donc, cette parenthèse Gander s’accorde avec « Les dérives de l’imaginaire » : le spectateur est invité à une partie de mémo consistant à retrouver pour chaque objet sa légende.

Parmi les propositions de qualité, on compte les Déversoirs d’orage_1 de Dove Allouche (2009). L’artiste a photographié les égouts parisiens et en a tiré des héliogravures. Les plaques de cuivre sont exposées, révélant un univers caché connu pour nourrir de sombres chimères. Autre lieu à fantasmes : la ville d’Aberdeen dans l’État de Washington, berceau natal du chanteur Kurt Cobain et titre d’une installation de Rodney Graham (2000), qui s’est rendu sur ces lieux dans l’espoir d’y flairer les restes d’une inspiration mythique. Plus prosaïque, la vidéo Versions (2012) d’Olivier Laric soumet des images à différents processus de reproduction. Pierre Vadi, Raphaël Zarka et Seth Price complètent ce très bon cru.

De William Hogarth, avec la série gravée Industry and Idleness (1820-1822), à Douglas Huebler, aucun « pionnier » du désœuvrement n’a été oublié. À tel point que l’on regrette la présence de deux références historiques censées fédérer l’itinéraire. Si les relevés des déplacements d’enfants autistes par Fernand Deligny constituent une découverte, ce n’est plus le cas de Guy Debord, chantre des errances urbaines. Systématiquement sollicité, son travail a ici la pertinence d’une notice de dictionnaire. Reste que ce volet incite bien à flâner dans le Palais de Tokyo, du côté de Fabrice Hyber notamment, qui représente avec lui le programme le plus stimulant de la saison.


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