r e v i e w s

Ariane Michel à la Fondation Ricard

par Audrey Illouz

Panorama, cinémascope, théâtre dans le théâtre, galerie de portraits, veduta ou fresque sont autant d’éléments du décor qu’Ariane Michel plante à l’occasion de son exposition personnelle à la Fondation d’entreprise Ricard. Paleorama, le titre de l’exposition, donne le ton. Ce mot-valise où résonnent préhistoire, science et cinéma multiplie les jeux de raccord. Ces télescopages se font ici sans heurts et permettent d’établir une continuité spatio-temporelle burlesque, mystérieuse ou fantastique et donnent au réel sa dimension spectaculaire – le télescope comme la caméra offrant d’ailleurs cette possibilité d’ajuster la distance.

Le triptyque photographique À l’aube (2010) qui ouvre l’exposition opère un premier raccord spatial où la ligne d’horizon sert de jonction entre les trois images. Ce paysage revêt une valeur générique et évoque une origine de vie. Comme dans une énigme que le visiteur chercherait à résoudre, ce raccord spatial nous met sur la piste temporelle.

Ce paysage nous entraîne vers un autre décor aquatique, cette fois-ci burlesque, celui des Lutétiens (2010). Dans cet aquarium au format cinémascope, deux espaces-temps coexistent à travers le raccord improbable entre l’objet (la pierre de taille coquillée du bassin parisien qui renvoie à l’ère tertiaire comme à l’architecture des bâtiments alentour) et le vivant (les escargots aquatiques). Comme par un jeu d’optique, qui rappelle celui du télémètre où concordent deux images, les escargots aquatiques font ainsi corps avec leurs ancêtres fossilisés ; des strates temporelles se superposent. Dans cet écho lointain au diorama – élément commun au muséum et au cinéma – contenant et contenu entretiennent des liens de parenté.

Autre effet de métonymie entre artefact et vivant : La Cave Jarkov (2009-2010). Une très grande boîte de stockage en pin fait office de salle de projection. On y découvre un film en clair-obscur où un homme dégèle patiemment au sèche-cheveux le pelage intact d’un mammouth conservé dans un bloc de glace. Homme moderne et animal préhistorique cohabitent temporairement dans cet antre pour les besoins de la science et emportent le spectateur dans un tourbillon temporel où la réalité prend le pas sur la fiction. Par ses dimensions, la caisse rappelle la présence de l’animal. Elle permet aussi d’établir des raccords sonores : les pas du spectateur sur le plancher font écho à ceux du scientifique dans la vidéo.

La Ligne du Dessus (2009)

La Ligne du Dessus (2009)

qu’Ariane Michel qualifie de « film-fresque » ou de « western rupestre » établit à son tour une continuité entre préhistoire et présent aux allures fantastiques. Dans ce film en quadriptyque, le temps est diffracté. L’artiste transporte un paysage grandiose dans le lieu de monstration. Les chevaux de Przewalski, tout droit sortis des fresques de Lascaux, ont résisté à l’épreuve du temps. Ces survivants ont été récemment réintroduits dans la steppe mongole, leur berceau originel, où l’artiste est alléefilmer leur reconquête du paysage. Produite et présentée pour la première fois à l’occasion de sa récente exposition à L’Espace croisé à Roubaix (janvier-avril 2010), La Ligne du dessus emprunte son titre au vocabulaire équestre et désigne la courbe particulière d’un cheval. À l’aide du montage, la courbe de l’animal se prolonge parfois dans les courbes du paysage avec lequel celui-ci se fond. Les plans sont déterminés par l’entrée et la sortie de l’animal dans le cadre. Ils sont guidés par sa volonté, comme si la présence humaine qui les filme tentait de s’effacer. Dans cette fresque où les écrans ont supplanté la pierre, la fugacité du présent semble dérisoire. L’énigme de l’animal reste entière. La réalité apparaît dans toute son étrangeté.

Ariane Michel

Paleorama

Fondation d’entreprise Ricard, Paris

8 avril – 12 mai 2010

La Ligne du Dessus

Espace croisé, Roubaix

26 janvier – 17 avril 2010