L’art dans les chapelles, 27e édition

par Camille Paulhan

6.07 – 16.09.2018

Pour la 27e année, des artistes de toutes les générations – la plus jeune n’a pas quarante ans, le plus âgé en a plus de soixante-dix – ont investi de petites chapelles du Morbihan et produit des œuvres pour ces écrins silencieux. Il n’est pas ici question de proposer de simples accrochages sur des murs blancs réguliers, aux éclairages et à la température maîtrisés. Les espaces sont loin des white cubes institutionnels : ici des fresques colorées, des plafonds peints ou des sculptures sur bois, là des sols verdis de mousse ou un pavement irrégulier. Les chapelles sont historiquement et spirituellement chargées : étant toutes consacrées, elles n’ont pas vocation première à exposer l’art contemporain. Ce pourrait être un truisme que de le rappeler, pourtant cette donnée est capitale pour apprécier les projets des artistes qui, dans leur immense majorité, ont cherché une véritable fusion avec ces lieux, avec pour beaucoup des productions spécifiques.

Marc Couturier « Tutto per tutti », chapelle de la Trinité, Domaine de Kerguehennec, Bignan, L’art dans les chapelles, 2018 Photo : Aurelien Mole

Charlotte Charbonnel a imaginé pour la sépulcrale chapelle Saint-Meldéoc de Locmeltro une œuvre sonore à partir des harmonies créées par des tiges métalliques venant caresser avec plus ou moins de douceur la cloche des lieux. Au cœur de cet environnement sombre dans lequel un catafalque côtoie un mel beniguet (boulet utilisé dans la Bretagne pré-chrétienne pour achever les malades agonisants), l’installation de l’artiste se révèle étonnamment mélancolique. Les hauts-parleurs, situés en hauteur et dans les bénitiers, emplissent le chœur d’ondes irrégulières, émanations de prises de son préalablement travaillées et de la captation en temps réel. Joan Ayrton, dans la chapelle Notre-Dame-du-Moustoir à Malguénac, joue au contraire avec les luminosités changeantes qui affleurent à travers les vitraux blancs. Ses œuvres en verre coloré, tout bonnement impossibles à photographier, reflètent leur environnement à travers des tonalités roses, vert-bleu et noires, dans une motion ralentie. Les formes flottantes d’Adam Jeppesen paraissent elles aussi chercher cette torpeur muette : à la chapelle de la Trinité de Cléguérec, les murs pigmentés en bleu pour l’occasion côtoient de bien étranges méduses qui ondoient gracieusement dans leurs aquariums de verre. Une certaine fragilité guette : le Mikado d’Emmanuel Saulnier, à la chapelle Sainte-Noyale de Noyal-Pontivy, composé d’aiguilles de verre noir pourrait bien se fissurer ou s’affaisser sous son propre poids. Le Kaddish de Rémy Yadan qui l’accompagne dans cette chapelle, montre des apparitions fantomatiques sur une plage : la vidéo, dont le titre évoque une prière juive pour ceux qui portent le deuil, oscille entre la promesse d’un au-delà océanique et l’apparence de limbes suffocantes où les corps se croisent sans communiquer.

Éric Suchère, le commissaire de l’édition 2018, avait prévenu dans son avant-propos pour le catalogue d’exposition : visiter L’art dans les chapelles, c’est accepter de prendre le temps d’un « regard prolongé ». Ne serait-ce que pour découvrir les chapelles et les œuvres des artistes, il faut un peu de temps, et un peu d’humilité. Le marathon de consommation d’œuvres que peuvent promettre un musée ou une soirée de vernissages parisiens n’est pas de mise : il est tout bonnement impossible de visiter l’intégralité des chapelles en une après-midi. Et même s’il est difficile d’interdire aux visiteurs de poster frénétiquement sur les réseaux sociaux les photographies des œuvres accompagnés de mots-dièses du plus bel effet, il faut avouer que le parti-pris du commissaire, à rebours des catégories très instagrammo-compatibles (« buzz », « hype », « tendance »…) est plus que salutaire.

Concluons donc avec une des propositions les plus réussies, à la chapelle de la Trinité de Kersuzan, Tutto per tutti de Marc Couturier. Ce dernier n’est pas un débutant en ce qui concerne les œuvres présentées dans des lieux de culte, il a en effet pensé les vitraux de l’église Saint-Léger à Oisilly (Côte-d’Or), les gloires de Notre-Dame à Paris et de Saint-Denys du Saint-Sacrement au milieu des années 1990. Pour cette petite chapelle dénudée, l’artiste a posé sur les fenêtres des vitrophanies aux motifs d’aucuba rappelant les deux pieds de cet arbuste de deuil plantés pour la circonstance à l’entrée. Les bénitiers ont été remplis d’une eau noire et un vaste dessin au graphite vient recouvrir le mur courbe du chœur. L’ensemble, d’une grande délicatesse, n’est pas bavard, mais n’est-ce pas là l’une des premières qualités d’un art qui prétend toucher au sacré ?

(Image en une : Adam Jeppesen, Chapelle de la Trinité, Cléguérec, L’art dans les chapelles, 2018
Photo : Aurélien Mole).


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