Gyan Panchal

par Marion Vasseur Raluy

« Rompre l’orbe », musée départemental d’art contemporain de Rochechouart, 7.10-17.12.2017

Il y a un an, il m’est arrivé un événement particulier. Suite à la perte d’un être cher, j’ai eu le besoin d’aller voir une hypnotiseuse. À la fin de la séance pour me libérer du poids du deuil, elle a demandé à mon inconscient de me transmettre un message sous la forme qu’il souhaitait. Naturellement mon moyen d’expression le plus aisé fut les mots et je conservais en mémoire cette phrase : « Amène la lumière ». Cette femme me connaissait peu et, lors de l’hypnose, elle se trompa de prénom et m’appela Lucie. Ce prénom est associé à la lumière, sa traduction en espagnol étant luz. Il me sembla que toute ma personne cherchait à être éclairée. Je fus dès lors obsédée par la question de la lumière, en tant qu’énergie vivante et émancipatrice. Je mis en relation cet évènement personnel avec un phénomène qui touche en parallèle mon milieu professionnel. Dans l’art contemporain, depuis plusieurs années, les néons des white cubes laissent progressivement place à des lumières naturelles. Les artistes et commissaires acceptent de plus en plus volontiers que leurs œuvres disparaissent à la nuit tombée. Comme si le cycle naturel prenait à nouveau le pas sur les sources lumineuses électriques. Dans sa récente exposition au musée départemental d’Art Contemporain de Rochechouart, Gyan Panchal plonge le spectateur dans une ambiance spectrale. La salle des combles, dont les ouvertures extérieures étaient complètement obstruées depuis plusieurs années, a été ré-ouverte, découvrant de magnifiques fenêtres du XVIe siècle offrant une vue sur la campagne avoisinante qui, en ce début décembre, prend une teinte verte légèrement glacée. L’artiste nous précise lors de la visite que le temps est parfait car le ciel est très dégagé. Il nous propose d’une certaine manière de découvrir un paysage intérieur dépendant d’éléments extérieurs pour être regardé et apprécié. L’exposition se déploie dans cet espace, de manière à la fois rigoureuse et extrêmement subtile. Seul sept sculptures ont été disposées sur l’ensemble des combles ; certains points de vue permettent d’en découvrir plusieurs à la fois quand d’autres n’en laissent percevoir qu’une seule.

La lie, 2017. Peluche, maïs, résine, 97 x 66 cm.

S’il est question de subtilité et même d’élégance, c’est dans cette capacité modeste à ne pas surimposer le regard. C’est premièrement dans l’accrochage que l’ensemble de l’exposition est remarquable. Le travail sculptural de l’artiste est de plus en plus influencé par son mode de vie — il habite actuellement à Eymoutiers. Les matériaux et les objets qu’il prélève proviennent de son environnement quotidien et découlent de l’activité humaine : silo, bouée, canoë, casque. Qu’ils soient de l’ordre du loisir ou du travail, ils sont aussi associés à une certaine vision de la ruralité et de la campagne. Après le prélèvement, l’artiste les transforme à l’atelier grâce à un jeu de soustraction, d’addition et de ponçage. Ces gestes sont d’une grande élégance dans leur modestie et leur discrétion.

Le berceau, 2017. Casque, fruit factice, 20 x 26,5 x 13,5 cm.

À l’entrée de l’exposition, un premier silo est présenté. Gyan Panchal y a intégré une paire de gants médicaux utilisés par les vétérinaires pour intervenir sur les vaches malades. Parée d’une certaine violence, cette œuvre offre une dimension plus politique à l’ensemble et évoque le rôle et l’intervention de l’homme dans le monde animal ou végétal. L’accrochage a été pensé en matière de perception visuelle mais aussi de colorimétrie. Ainsi l’exposition semble progressivement se faner, partant de couleurs vertes, elle confronte le spectateur à des teintes de plus en plus opalescentes jusqu’à cette dernière œuvre : un second silo quasi transparent sur lequel sont posées des pommes. L’artiste a installé cette dernière sculpture face à la fenêtre. Il est possible de sentir l’hésitation et les mains du sculpteur au moment où il arrête définitivement son geste pour l’emplacement exact de la pièce en fonction de la lumière. Cette dernière s’est posée comme une couche dorée sur l’ensemble. Il est difficile de décrocher son regard de cette composition. Cela ressemble à de la peinture. Cela appelle à plusieurs sensations, à plusieurs sens, à plusieurs vies et à plusieurs mémoires. C’est presque comme si cette œuvre, je l’avais déjà vue. Elle amène une énergie particulière et une lumière qui a autant le goût du passé que celui du futur.

La robe, 2017. Mât, combinaison de protection, marqueur à bestiaux, résine, 412 x 5,5 x 5,5 cm, 173 x 20 x 20 cm


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