Cathy Josefowitz et Susie Green

par Vanessa Morisset

Empty rooms full of love

FRAC Champagne-Ardenne, Reims, exposition prolongée jusqu’au 29.08.2021

Le FRAC Champagne-Ardenne ne croyait pas si bien dire en formulant le titre de cette exposition, « Empty Rooms Full of Love », puisque, dans l’attente d’être autorisées à réouvrir, les salles restent vides – alors même que tout le travail pour nous accueillir a été fait ; ici dans une perspective particulièrement joyeuse et sensuelle… Nous qui avons tellement manqué de cela ces derniers temps ! L’ambiance générale de l’exposition est en effet colorée, acidulée, souvent onirique, tout en étant axée sur un thème obsessionnel : la sexualité, une sexualité riante. Le plus étonnant est que cet état d’esprit – somme toute assez rare – caractérise l’œuvre de deux artistes qui ne se sont que peu connues, de générations et de nationalités différentes : l’artiste d’origine américaine Cathy Josefowitz (1956-2014) et l’Anglaise Susie Green (1979), et dont l’exposition révèle les affinités surprenantes. On pourrait parler d’une complicité fantasmée.

Cathy Josefowitz, Sans titre, 2002 ; Susie Green, Creature of love (IV), 2020. Vue de l’exposition, Cathy Josefowitz & Susie Green, Empty rooms full of love, FRAC Champagne Ardenne, 2021. ©Martin Argyroglo

Essentiellement constituées de peintures d’un style presque naïf, de collages, de dessins, de petits objets tels que des marionnettes, mais aussi de quelques performances, les œuvres de Cathy Josefowitz rappellent qu’elle a pratiqué l’art d’une manière spontanée – étant plutôt en relation avec les milieux du théâtre et de la danse qu’avec des artistes issus des Beaux-Arts. Elles témoignent de son parcours et de sa vie de femme libre, elle qui n’a cessé de se déplacer entre l’Amérique et l’Europe au fil des rencontres et s’est très tôt impliquée dans le féminisme et la lutte que l’on n’appelait pas encore couramment « la défense des droits LGBT ». Au rez-de-chaussée du FRAC, une grande toile, Sans titre, de 2002, mêlant peinture et collage, exprime en beauté sa liberté. Sur un fond monochrome noir se détachent deux figures peintes en camaïeu de rouges, une féminine et une masculine, plus ou moins dans une position de combat – réel ou simulé, dispute ou entraînement de self-defense, on ne sait pas. En tout cas, la femme tend un bras agressif en direction de l’homme, qui lui se tient genou à terre. Elle semble avoir le dessus. Mais ce n’est pas tout, un détail donne tout son sens au tableau : le sexe de l’homme est composé d’un morceau de papier journal déchiré, sur lequel on lit clairement une date : le 18 novembre, jour de l’anniversaire de l’artiste. Un cadeau ? Dans l’accrochage, cette œuvre est présentée en regard d’une pièce en papier de soie rouge de Susie Green représentant schématiquement deux silhouettes emboitées en une position qui pourrait être inspirée du Kamasutra, toutes deux parcourues d’une bande de papier jaune lacée en croisillons et rappelant les lacets des corsets, des guêpières, des sous-vêtements sexy. Il faut dire que ce type d’œuvres figuratives en papier très fin, fragile, léger, poétique, combiné avec des accessoires érotiques – outre les lacets : les talons-aiguilles, les piercings, jusqu’aux chaînes à tétons – est très représentatif du travail de Susie Green. Ainsi du couple de papier rose et blanc intitulé Something Soft, de 2019, affublé de bouches en baiser rouges, anneaux, colliers et chaines – trop sympathique pour être sado-maso mais tout de même bien excité. Caractéristique de pratiques très actuelles – l’artiste ayant suivi une formation artistique à l’université et en école d’art –, allant du découpage de ce papier fin aux concerts performés1 et à la vidéo, en passant par la peinture, le travail de Susie Green est parcouru d’allusions érotiques… Plus loin, c’est un tableau aux tons jaunes de Cathy Josefowitz évoquant une scène langoureuse entre deux femmes dont le bout des seins se chevauche, qui est juxtaposé à une créature de papier de soie également jaune, toute en jambes, cœurs, zones érogènes et lacets bleus croisés. Un peu plus loin encore, de nouveau, démonstration est faite d’une grande concordance entre deux œuvres aux tonalités violettes : les deux artistes sont comme complices.

Vue de l’exposition, Cathy Josefowitz & Susie Green, Empty rooms full of love, FRAC Champagne Ardenne, 2021. ©Martin Argyroglo

À l’étage, les œuvres sont globalement plus abstraites – surtout celles de Susie Green. De grandes peintures à l’acrylique et de plus petites aquarelles de style psychédélique, toujours aussi colorées, nous transportent dans un doux flottement. On pourrait les situer, et à juste titre, dans le sillage des peintures de la deuxième génération de l’abstraction américaine, celle des toiles puissantes et colorées de Sam Francis ou de Joan Mitchell. Mais on pourrait aussi, dans la prolongation des œuvres vues au rez-de-chaussée, les interpréter comme de libres traductions visuelles de l’expérience intérieure de l’extase – à base d’ébauches de fleurs, de seins, de fluides répandus, de circonvolutions concupiscentes… Le tout dans un espace marqué par des rideaux de cordes et de couleurs pendants (serait-ce exagéré de le dire, « lascivement » ?). Sont exposés en parallèle des carnets et des petits dessins de Cathy Josefowitz, sur des pages de papier quadrillé qui composent des journaux intimes en images de ses expériences et de ses émotions. Là encore, les deux artistes, en sublimant généreusement leur intimité, sont à l’unisson.

En résumé, il est vraiment souhaitable que l’exposition ouvre ses portes afin que le public le plus nombreux possible puisse profiter de ses bienfaits, une bulle où le sexe, envisagé du point de vue de deux artistes femmes, fait rêver.


  1. Pour écouter la musique de Susie Green, composée avec Simon Bayliss : www.youtube.com/channel/UCgv1ijwsHdJeASiyTZTp_Gg

Image en une : Vue de l’exposition, Cathy Josefowitz & Susie Green, Empty rooms full of love, FRAC Champagne Ardenne, 2021. ©Martin Argyroglo


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