Rentrée : Mode d'emploi

par Raphael Brunel

Rentrée : mode d’emploi

Le mois de septembre étant déjà bien entamé, il est temps de revenir sur un phénomène culturel dont la récurrence et l’implacable ponctualité se rappellent à nous chaque année, précédant en cela la joie de déguster la première poêlée aux cèpes de l’automne. Comme autant de repères rythmant nos vies, la rentrée s’annonce comme un moment… disons… un moment de l’année. Il y a la rentrée des classes bien sûr, celle des salariés et du championnat de football. Moins fédératrices, mais tout aussi importantes sont la rentrée littéraire et celle des galeries parisiennes. Cette dernière s’annonce souvent pour l’amateur comme un casse-tête organisationnel : les galeries et les expositions qui s’y déroulent sont nombreuses, inégales, éclatées géographiquement et proposent des choix et des orientations artistiques variés.

kelley

Mike Kelley, Kandor à la Galerie Hussenot

Ce qui est sûr, à moins d’être de nature très conciliante, c’est de ne pouvoir être convaincu, charmé, intéressé, renversé (mais peut-être déçu) par l’ensemble des propositions. Dès lors, « faire le tour des galeries » pose un problème méthodologique de premier ordre : où aller, par où commencer, pour voir qui et quoi et dans quel ordre ? Faut-il viser l’exhaustivité ou se replier sur les lieux connus et appréciés ? Privilégier la galerie de renom qui expose un artiste international fasciné par les fleurs ou celle plus prospective et pointue ? En premier lieu : trouver la programmation, puis quadriller une carte de Paris pour cibler les points stratégiques : le Marais, le 6e, la rue Louise Weiss, Belleville. A partir de là, chacun définit sa stratégie. Il y a la méthode classique et toujours efficace, bien qu’un peu scolaire, de suivre l’ordre

Réplique de la chose absente, 2009 Bois aggloméré, inox, papier, métal, terre…

Guillaume Leblon, Réplique de la chose absente, 2009 Bois aggloméré, inox, papier, métal, terre…chez Jocelyn Wolff

alphabétique, ce qui ferait commencer le périple à la galerie Air de Paris dans le 13e arrondissement avant de poursuivre chez sa quasi voisine Art Concept, où Michel Blazy prolonge ses recherches habituelles en convoquant escargots, fourmis et autres insectes sur fond de moisissures et d’odeurs rances. L’inconvénient de cette organisation reste l’incessant va-et-vient d’un quartier à l’autre. Certains optent pour la sélection préalable, qui évite la dispersion et parfois aussi les bonnes surprises. Il y a ceux qui misent sur les têtes de gondoles, les artistes célébrés dont il est toujours intéressant de voir de nouvelles pièces. En cette rentrée, certaines galeries osent le lourd, témoignant en cela d’un marché de l’art toujours dynamique ou d’un repli des galeries sur leurs valeurs sûres, de leur manque d’audace – au choix. Plutôt que les idées noires d’Annette Messager ou la pop acidulée de Murakami, préférons la belle installation d’Ugo Rondinone chez Almine Rech, entre peintures spatiales et portes monumentales d’une grande sobriété, ou la reconstitution débridée de Kandor, la capitale de la planète de Superman, par Mike Kelley chez Hussenot.

Il y a ceux (mais ce sont peut-être les mêmes que les premiers) qui préfèrent la fraicheur de lieux où la place laissée à l’expérimentation et aux joies du tâtonnement est plus importante. En ce sens, les flancs de Belleville semblent accueillir une réelle émulsion, comme le montre l’exposition de Guillaume Leblon (c’est vrai, ce n’est plus vraiment une révélation) chez Jocelyn Wolf, avec ses fragments d’architecture et de

Oscar Tuazon, ASS TO MOUTH (2009) acier, bache plastique, adhésif, plexiglass, béton, eau6m x 2m x 0,45m (structure au plafond) 4,5m x 3,8m (plateau en beton au sol) Courtesy Balice Hertling, Paris

modernisme, ou la dalle de béton d’Oscar Tuazon condamnée à ne jamais sécher. Les galeries du 19e n’ont pas l’exclusivité des jeunes artistes, comme le prouve LHK, rue Saint-Claude, qui présente notamment les espaces mentaux de Vincent Mauger ou les jeux visuels et sémantiques de Sylvain Rousseau qui rendent hommage au grand Georges Perec. Et c’est finalement sous sa tutelle toute oulipienne que le « tour des galeries » devrait s’effectuer, devenant ainsi prétexte à de désopilantes contraintes, à des logiques poussées à l’absurde qui transformeraient la journée des galeries en aventure urbaine, en récit de voyages au long cours.

Vincent Mauger Landscape expanding tools chez LHK

Vincent Mauger, Sans-titre, 2009, polystyrène, 260x186x26cm chez LHK


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