Né dans la rue – le graffiti à la Fondation Cartier

par Sarah Ihler-Meyer

Le graffiti, d’une écriture à l’autre.

Suite aux expositions du Grand Palais Rue et TAG, Né dans la rue contribue à légitimer le graffiti en tant qu’art sans hélas expliquer les ressorts et les obstacles d’une telle reconnaissance. C’est que, aussi appelé writing, le graffiti s’élève ou échoue face à l’art en raison de son principe même, l’écriture.

Nug

A défaut d’un appareil critique conséquent, le  parcours chronologique de l’exposition, depuis les origines du mouvement jusqu’à nos jours, donne accès aux motivations des tagueurs. Les premiers graffitis apparaissent à la fin des années 1960 aux Etats-Unis sur les bus, les rames de métro et les murs des villes. Il s’agit généralement d’adolescents issus de milieux populaires hispano ou afro-américains, dont l’intention est de se faire un nom, voire d’être célèbre, tout au moins dans leur quartier, en écrivant leur pseudo sur les supports les plus visibles. Les photos de Jon Naar, d’Henry Chalfant, de Martha Cooper et de Flint Gennari rendent compte de cette réalité : des jeunes en blue jeans, blousons et baskets escaladent des murs, marchent dans des entrepôts et sur des voies ferrées à la recherche d’une surface adéquate. Le but des tagueurs est sans équivoque de poser sa signature. En témoignent les interviews de Seen, P.H.A.S.E.2, Richard Goldstein ou encore Coco-114. Toutes leurs recherches formelles convergent dans ce sens. « Moi, j’inventais toujours les signatures les plus compliquées, les plus stylisées. Je retravaillais sans cesse la mienne, je la faisais passer par différents stades, jusqu’à lui donner un aspect propre, définitif, pour qu’elle soit reconnaissable, un peu comme un logo ».

Or, créer une signature, une marque, c’est réduire l’écriture à sa fonction de communication, en l’occurrence faire connaître le tagueur. Les traits, les flèches, les pointes, le choix du feutre, de la graphie et de la bombe de couleur ne sont là que pour promouvoir le pseudo. De même, l’invention de nombreuses typographies, telles que le « Bubble Style », le « Block Style » ou encore le « Wild Style » aux lettres boursoufflées, rectangulaires et anguleuses, servent essentiellement le nom du tagueur. Mais, pour que l’écriture devienne un art, elle doit apparaître « comme l’excédent de sa propre fonction », elle doit valoir pour elle-même, en dehors du pseudo auquel elle renvoie.

Jpixos Sao Paulo

Jpixos Sao Paulo

De fait, au-delà des ambitions explicites – imprimer sa marque -, les productions des tagueurs échappent parfois à la pure fonctionnalité. Ainsi des graffs de Nug et de P.H.A.S.E.2 dans lesquels le pseudo est quasiment indéchiffrable, noyé dans les courbes, les horizontales et les zigzags qui le composent. Et, si l’aspect esthétique prend le pas sur la fonction du graff, les formes sont-elles chargées d’une dimension expressive directement branchée sur les gestes du tagueur. On ne voit pas tant dans les Pixos de Sao Paulo les lettres et les mots qui les constituent que « le mouvement qui est venu là ». Ce dont témoigne Graffiti Taxonomy d’Evans Roth, un alphabet de gestuelles davantage que de lettres.

En d’autres termes ce qui excède la stricte fonctionnalité de la graphie, le signifié, le pseudo, c’est la valeur expressive du geste dont elle procède : « l’essence de l’écriture, ce n’est ni une forme ni un usage, mais seulement un geste, le geste qui l’a produite ». C’est pour cette qualité expressive qu’Aaron Siskind photographie dans les années 1970 les tags des murs de New York. C’est également ce que retiendront

Flint Gennari New York 1974

Flint Gennari New York 1974

Keith Haring et Jean-Michel Basquiat des tags dans les années 1980: « royauté du geste », « liberté du geste et du corps, liberté des sens », tels sont termes qui définissent leur art.  Cette part essentielle au graffiti, qui l’élève au rang d’art, est mise en avant par Graffiti Analysis -HELL d’Evans Roth. Des mouvements s’impriment à la surface d’un écran noir jusqu’à former un tag, disparaissent pour en laisser apparaître un autre, de telle sorte que « l’importance de l’énergie, de la gestuelle et de l’action » est rendue visible.

L’horizon artistique du graffiti est donc du côté de la calligraphie, soit de l’art de rendre la graphie à sa vérité, située « ni dans ses messages, ni dans le système de transmission qu’elle constitue pour le sens courant, […] mais dans la main qui trace et se conduit, c’est-à-dire dans le corps qui bat ».


Richard Goldstein, Street and Self, Les origines du graffiti

Roland Barthes, L’obvie et l’obtus, Seuil, Paris, 1982.

Ibid.

Thierry Laurent, La Figuration Libre. Paris-New York, Au même titre éditions, 19…

Jeremy Dessaint, Keith n°8, Who is Keith?, Juillet-Août 2009.

Roland Barthes, op. cit.


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