La Force de l'Art 02
La Force de l’art 02
par patrice Joly
Trois ans après sa première édition, voilà donc la nouvelle mouture de ce qui s’annonce comme le grand rendez-vous autoproclamé de la création contemporaine française. Selon les dires du délégué aux arts plastiques, Olivier Kaeppelin, la force de l’art est sensée être représentative de la scène française, de sa vigueur et de son dynamisme à l’instant T. Un panorama de la création, à l’instar de ce que propose la Whitney Biennial ou Greater New York à PS1: un grand raout dans un écrin prestigieux afin de donner aux artistes français la visibilité et le traitement qu’ils méritent. Why not ? Pourquoi se priver d’une telle opportunité de mettre en valeur les artistes français dans de bonnes conditions de production et de mise en scène, pourquoi se refuser ce côté démonstration de force quand nos voisins d’outre Manche et d’outre Rhin ne s’en privent pas. Rien à redire sur le fond, arrêtons de minauder.
Voilà pour les arrières-pensées : exit le refrain sur les budgets exorbitants (c’est une manifestation au coût somme toute acceptable eu égard aux enjeux) et sur le choix du lieu : tout cela se tient même si cela ne va pas sans soulever de réserves (sur l’aspect pharaonique du Grand Palais notamment et la constante nécessité de lutter avec la « force » architecturale de ce dernier…). Venons en au vif du sujet : l’exposition collective. Comme tout exercice de ce genre, il repose sur deux principes qui sont difficiles à concilier : la force des artistes ou la force du(es) curateur(s). Avec le risque habituel qu’une exposition trop signée ne faisse disparaître le travail des artistes (vieux débat et vieilles querelles : à notre avis, ce qu’il y avait de mieux dans la FDLA#1, c’était justement la proposition de Troncy et son pavillon, de loin le plus réussi), ou, à l’opposé, un casting d’artistes dans lequel on puise sans réellement assumer de proposition curatoriale forte. Il faut avouer que LFDA#02 réussit l’exploit de slalomer entre les deux difficultés sans assumer une quelconque position. Le tour de force a été de déléguer la partie curatoriale à Philippe Rahm qui a réalisé pour le coup une mise en espace des pièces, entre plateforme et piste de skate, une espèce de gélatine blanche solidifiée omniprésente qui comble les vides, ménage des passages, des défilés dans lesquelles les pièces viennent s’inscrire et trouver avec plus ou moins de bonheur leur espace vital : une espèce de village marocain post moderne… Il faut avouer que ce n’est pas trop mal réussi, avec des moments plus heureux que d’autres, par exemple la pièce de Leblon qui se dégage sur le fond laiteux de la structure et qui réussit un beau dialogue spatial en noir et blanc, ou encore celle de Virginie Yassef qui émerge brutalement de l’horizon liquide dans lequel est immergé le reste des œuvres. Pour d’autres par contre, ça se corse, ou plutôt ça se « corsète » : la pièce de Peinado qui est sensée métaphoriser la respiration des lieux nous semble un peu manquer d’air et de recul pour être vue dans de bonnes conditions, idem pour celle de Giraud et Sibony qui a vraiment l’air confinée dans une des ruelles du village : mais cela ne la dessert pas tant que cela puisqu’ayant de fait anticipé le côté fête foraine de la manifestation, elle ne fait que surjouer cette dimension (à proximité de la « machine à kebab » géante de Wang Du, frôlant le littéralisme et la laideur d’un réel stand de foire…).
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Mais mise en espace et homogénéisation ne veulent pas dire projet curatorial et pensée sur l’exposition. N’en déplaise à certains, le curateur est pour nous celui qui crée du sens en organisant les rapports entre les œuvres, sait les mettre en tension, stimuler les différentiels et les ruptures pour justement créer de la singularité. Or ici, il ne semble pas exister de réel statement, de réelle proposition sur laquelle on puisse débattre, discuter, se fâcher ou se réconcilier. Il y a une neutralité propositionnelle qui se masque derrière un respect des Œuvres… Traiter les pièces comme des œuvres, c’est se replier sur d’anciens discours de sacralisation alors qu’il nous semble aujourd’hui complètement admis que l’intérêt d’une exposition collective réside dans la confrontation et le frottement des pièces entre elles et non pas la juxtaposition d’une série de stands, aussi « joliment » agencés soient-il. Voilà pour la force de l’art des curateurs dont on n’arrive pas réellement à savoir qui a choisi qui et suivant quels motifs …
Reste la deuxième option, la force des artistes sensés représenter la vitalité, le dynamisme, etc. de la scène française de l’art contemporain. Malgré la présence indéniable d’artistes majeurs comme Bublex qui réussit au passage une belle reconstitution de sa fiction urbaine, Glooscap, du « stand » proprement magnifique de Didier Marcel, des Blazy, Leblon, Peinado, Calais, Coleman, Dewar et Giquel et des petits nouveaux à juste titre sélectionnés comme les Giraud et Sibony mais aussi les Blais, Yassef et autres Julien Prévieux, on se demande bien où sont passés les Saâdane Afif (faut-il rappeler qu’il fut l’un des rares représentants de la scène française à la dernière Documenta de Kassel), les Wilfrid Almendra, les Delphine Coindet, les Raphaël Zarka, les Lili Reynaud Dewar, les Marc Geffriaud, Ulla von Brandenburg, les Loris Gréaud, les Cyprien Gaillard, les Laurent Montaron, Claire Fontaine, Isabelle Cornaro, Morgane Tschiember, tous ces jeunes artistes qui contribuent à régénérer fortement cette scène française et dont la présence affirmée à l’étranger témoigne d’une très haute estime par les curateurs et autres directeurs de Biennale. Si l’une des volontés de la Force de l’art est de faire rayonner la présence des artistes français, comment expliquer qu’il n’y ait pas coïncidence de cette triennale avec la présence de Gaillard et Gréaud à Younger than Jesus au New Museum de New York (les seuls artistes français représentés dans cette triennale très prospective), ou bien à moindre échelle de celle d’Afif au centre d’art de Castelló ? Comment expliquer également qu’elle s’arrête juste avant que ne démarrent les grands raouts estivaux de Venise et Bâle ? Quant à la présence des artistes femmes, il n’y a pas de quoi s’indigner, cela ne fait que confirmer la place que leur réservent généralement les directeurs de grandes institutions nationales, c’est à dire autour de 15 % de présence…
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Le plus provocateur, et l’on peut comprendre que cela suscite des réactions véhémentes de la part de nos collègues critiques d’art et artistes (cf: la faiblesse de l’art (1)), c’est qu’alors que notre beau pays regorge d’artistes talentueuses, il n’y en ait que 4 ou 5 de présentes à la Force de l’art (je n’inclue pas Orlan et Annette Messager présentes dans le programme des Visiteurs), parmi lesquelles Virginie Yassef, Frédérique Loutz et Anita Molinero suscitent tout notre enthousiasme critique mais qui, pour les dernières, Butz&Fuque, frisent quand même le n’importe quoi et l’égarement de curateurs fatigués. La débandade de la force ?
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(Installation de Giraud et Siboni)
Notes :
1 : http://docs.google.com/Doc?id=ddq5j3j2_4f4xtkwdz et sur le site du Monde:http://www.lemonde.fr/opinions/article/2009/04/25/force-de-l-art-ou-perennite-du-sexisme-par-isabelle-alfonsi-claire-moulene-lili-reynaud-dewar-et-elisabeth-wetterwald_1185415_3232.htmlet l’adresse pour la liste des soutiens : http://docs.google.com/Doc?id=ddq5j3j2_1n8mxdw49
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- Du même auteur : Patrice Allain, 1964-2024, À propos de MAD, entretien avec Sylvie Boulanger, Prix jeune création 2014 : Oriane Amghar, Rosson Crow, L’avant-garde est-elle (toujours) bretonne ?,
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