Itv Ivo Mesquita commissaire de la Biennale de Sao Paulo

par Josue Mattos

Entretien avec Ivo Mesquita à la Fondation Bienal de São Paulo
propos recueillis par Josué Mattos

À l’heure où les biennales et foires d’art contemporain semblent vouloir partager un seul
territoire voué à la promotion de l’art actuel, Ivo Mesquita, le commissaire général de la
28ème Biennale de São Paulo propose une relecture des archives de la Fondation Bienal de São Paulo (en pleine crise institutionnelle) afin de rétablir ses bases ainsi que celle du modèle
« biennale d’art ».
Pour ce faire, il transforme cette prochaine édition en un plateau de réflexions, avec un cycle
de conférences et un espace d’expositions ouvert au public gratuitement, lequel sera, du moins
en partie, vidé d’œuvres d’arts. Alors que l’on aurait pu dire que le vide est ici un problème
éminemment budgétaire, compte tenu des crises de la Fondation Bienal, le budget pour cette
édition n’en reste pas moins important que celui des éditions précédentes. Le vide est donc,
selon les mots de Mesquita, « une stratégie curatoriale ».

Josué Mattos : Tu es le commissaire général de la 28ème Biennale de São Paulo qui inaugure le 26
octobre prochain. A ce que l’on sait tu as proposé un projet qui prétend traiter l’histoire de la
Fondation Bienal de São Paulo au sein même de l’exposition. Comment as-tu conçu un projet dont
le contenu est propre à une histoire locale, dans le cadre d’un projet d’envergure internationale?

Ivo Mesquita : Depuis 1979 j’essaie de démontrer que n’importe quel processus
de transformation, d’évaluation et de recyclage de la Fondation Bienal de São Paulo passe
nécessairement par sa propre histoire. C’est pourquoi, cette hypothèse de créer un double propos de réflexion, nous renvoie d’un côté à l’histoire de la Biennale de São Paulo, ainsi qu’à la place qu’elle occupe dans le pays, le continent, la ville et un certain circuit. De l’autre côté, l’idée est de remettre en question le modèle « Biennale » à l’heure où l’on est en face d’un cadre international avec plus de 200 biennales ayant lieu quasi simultanément. Là encore, l’archive de la Biennale de São Paulo, devient un référent à partir duquel on peut établir une telle réflexion.

Jasper Johns, 9e Biennale de Sao Paulo

Jasper Johns, 9ème Biennale de Sao Paulo, Archive Historique Wanda Svevo.

JM : Le thème de la Biennale Em vivo Contato (En contact vivant) a suscité diverses discussions
compte tenu du fait que le deuxième étage du bâtiment n’accueillera pas d’œuvres. L’idée de vide
que tu mets en valeur dans cette Biennale de São Paulo est connu dans la production moderne
comme étant l’indice d’une réalité contraire au concret et au tangible et renvoie à la métaphysique, selon Rosalind Krauss. En revanche, Gabriel Perez-Barreiro perçoit dans ton projet, « un geste de protestation, à partir d’un problème curatorial et de gestion ». Que représente le vide dans le domaine du commissariat artistique?

IM : L’idée de « contact vivant » est une appropriation, un fragment d’une phrase de Lourival
Gomes Machado tiré du premier catalogue de la Biennale de São Paulo. L’idée de cette première Biennale était de faire en sorte que le Brésil et les artistes brésiliens soient en « contact vivant » avec la scène internationale. A partir de ce texte inaugural, on tente d’actualiser cette idée, qui signifierait que la Biennale de São Paulo a « perdu le contact ». En ce qui concerne l’idée du « vide », il y a d’un côté une protestation, mais il y a également la volonté d’un geste de commissaire, qui interrompt une routine. Certaines personnes ont suggéré la réalisation d’un séminaire à la place d’une biennale pour la remise en question des problèmes actuels des biennales, car après tout on pourrait continuer à « voir » sans pour autant « percevoir » ce que l’on voit. L’idée du vide n’est donc pas une métaphore, il s’agit d’une expérience physique de l’exposition. Il n’y a aucun sens transcendant, philosophique, il s’agit d’une expérience physique, objective, réelle, c’est une chose qui a disparu de notre monde. Nous sommes inscrits dans un certain circuit qui ignore cette « réalité » du vide. Le vide, dans cette édition de la biennale, est une stratégie curatoriale.

salle Gordon Matta-Clark, 28e biennale

Salle Gordon Matta-Clark, 27ème biennale

JM : Cela me fait penser à ce que l’on a pu voir récemment sur la façade d’une galerie parisienne,
laquelle annonçait l’exposition d’un de ses artistes qui a choisi de l’appeler: « quoi ? encore une
exposition ? » et à un autre artiste qui avait transformé son exposition en vacances de l’équipe
interne de la galerie. Le vide est aussi bien présent dans l’œuvre d’Yves Klein – avec sa connotation immatérielle – que dans celle de Cildo Meireles, avec notamment Cruzeiro do Sul (1970) et sa critique sociopolitique. Comment crois-tu donc que les 40 artistes invités vont-ils répondre à cette idée de vide, sachant que 27 d‘entre eux préparent des projets inédits?

IM : La constitution d’un espace d’exposition contenu dans le projet original contredit l’idée de certains artistes – pour qui cette biennale ne devrait pas montrer d’œuvres – alors qu’en ce qui me concerne j’ai toujours voulu dire qu’elle ne devrait pas avoir de murs…

JM : Justement, nous avons pu lire dans la presse que la prochaine édition de la biennale n’exposerait que l’œuvre de Niemeyer, cela voudrait dire que le bâtiment qu’il a conçu serait vide. Qu’en dis-tu?

IM : Oui, nous sommes passés par cette phase, l’idée de ce projet a commencé en août dernier,
il a été ensuite bouclé en décembre. Par contre, le bâtiment de Niemeyer serait peut-être devenu le centre de la Biennale de São Paulo si je l’avais vidé. Cela aurait pu être perçu comme une sorte d’hommage – d’autant plus qu’il s’agit d’un type qui a 100 ans – et je ne suis pas un fanatique de l’œuvre de Niemeyer. Même si je trouve ce bâtiment particulièrement magnifique, de même que l’ensemble du parc du Ibirapuera. Mais après celui-ci les choses sont devenus un peu plus difficiles pour lui. Il n’empêche, l’expérience de cet endroit vide est pour moi quelque chose à ne pas négliger puisque personne n’a eu l’occasion d’en faire l’expérience depuis son inauguration en 1957. Mais si je l’avais complètement vidé, je ne pourrais plus disposer de l’articulation de certains points fondamentaux pour moi. Comme l’idée d’ouvrir le bâtiment, de créer cet espace de rencontre, comme une place publique. Un endroit de l’ordre de l’intuitif, de l’organique, qui constitue cependant un espace social. De même que je n’aurais pas pu présenter les archives de l’institution.
En ce qui concerne ces travaux inédits d’artistes, ils seront en lien soit avec les archives de la Biennale de São Paulo soit avec celles d’autres biennales, avec des notions bien spécifiques et proches du concept de cette édition de la biennale de São Paulo, par exemple la question de la critique institutionnelle, celle du travail de documentation, du travail de mémoire, d’écriture de l’histoire, la confrontation entre réalité-fiction et narrative-fiction.

Salle Dominique Gonzalez-Foerster, 28e Biennale

Salle Dominique Gonzalez-Foerster, 27ème Biennale

JM : Selon certains critiques d’art, ce qu’il faudrait à la Fondation Biennale de São Paulo c’est un projet à moyen et long terme car elle semble désormais uniquement impliquée dans la réalisation d’une édition destinée à susciter l’intérêt d’un public international. Dans quelle mesure crois-tu que la 28ème édition peut s’actualiser dans une forme qui puisse provoquer chez le spectateur plus qu’une expérience ponctuelle ?
IM: Notre objectif, le mien et celui d’Ana Paula (Ana Paula Cohen la co-commissaire de la
28ème Biennale de SP) est d’arriver à produire à la fin un document qui propose à la
Fondation Bienal quelques alternatives pour qu’elle se remette en question et se « réarticule ». À cet égard nous avons établi quelques stratégies pour essayer de répondre en partie aux enjeux et expectatives que soulèvent la biennale de São Paulo. Ceci touche plus particulièrement à la postérité de la 28ème Biennale de São Paulo. En ce qui concerne la prochaine édition, j’espère qu’elle arrivera à se débarrasser de ces questions de formats et de procédures. Je pense notamment qu’elle n’a pas besoin de disposer de 30000 m² tous les deux ans. Cela ne veut plus rien dire. Ce que j’espère, c’est que la Biennale de São Paulo mais aussi toutes les autres biennales arrivent à en prendre conscience. Qu’elles arrêtent de se reproduire comme des champignons, et que, pourquoi pas, elles deviennent des foires ! Les foires fonctionnent très bien, elles sont extrêmement utiles.
En plus, ils – les marchands, les galeristes – ont tout l’argent du monde ; nous, nous n’en avons pas. C’est une énorme différence. Nous devons créer un modèle qui nous soit propre, sachant que les foires se sont déjà appropriés celui de la biennale. Les critiques disent que les biennales sont devenus des foires, alors, faisons-le ici aussi, remplaçons la biennale par une foire. En cinq jours nous allons tout vendre et tous nos problèmes seront résolus. On gagnera beaucoup d’argent. A quoi bon rester 90 jours avec ces «trucs» encombrants sans pouvoir les vendre alors qu’on pourrait faire une foire ?

JM : Le choix de réduire le nombre d’artistes à 40 vient de cette nouvelle acception du modèle
« biennale d’art »?

IM : Bien sûr, c’est cela, car selon moi il est impossible du point de vue curatorial qu’on
arrive à soutenir un argument solide, consistant, avec plus de 40 artistes. (au maximum 50). Il n’en faut pas plus. Tu vois ce que je veux dire ? Si tu veux maintenir un argument critique, il ne résiste pas à 120 artistes ! En tout cas je n’en ai jamais vu et je peux te dire qu’après plus de 30 ans d’expérience j’ai vu beaucoup de choses.
Peut-être l’un des projets les plus réussis à cet égard est encore celui de Jean Hubert Martin
avec les Magiciens de la Terre. C’est certainement l’une des expositions les plus réussies du genre. Mais, on pourra tout de même dire qu’il y avait un côté un peu obscur, celui de l’art et du chamanisme – je sais qu’il s’agit d’un sujet chers aux Européens, mais cela ne nous intéresse pas trop par ici. En tout cas, cela reste un projet tout a fait réussi. Évidemment, il y en a eu d’autres, mais on n’y dénombre pas 100 artistes, une soixantaine au maximum. Je pense notamment à l’exposition Quand les attitudes deviennent forme d’Harald Szeemann. Ces projets restent à mes yeux les rares exemples d’expositions réussies avec un nombre aussi important d’artistes.

Liste des artistes de la 28ème Biennale de São Paulo – Em Vivo Contato (En contact vivant).

1- Alexander Pilis (Rio de Janeiro, Brésil, 1954. Vit à Barcelone)
2- Allan McCollum (Los Angeles, EUA, 1944. Vit à New York)
3- Ângela Ferreira (Maputo, Mozambique, 1958. Vit à Lisbonne)
4- Armin Linke (Milan, Italie, 1966. Vit à Milan)
5- assume vivid astro focus (Groupe existant depuis 2000. Basé à New York et Paris)
6- Carla Zaccagnini (Buenos Aires, Argentine, 1973. Vit à São Paulo)
7- Carlos Navarrete (Santiago, Chili, 1968. Vit à Santiago)
8- Carsten Höller (Bruxelles, Belgique, 1961. Vit à Stockholm)
9- Cristina Lucas (Jaén, Espagne, 1973. Vit à Madrid)
10- Dora Longo Bahia (São Paulo, Brésil, 1961. Vit à São Paulo)
11- Eija-Liisa Ahtila (Hämeenlinna, Finlande, 1959. Vit à Helsinki
12- Erick Beltrán (México City, México, 1974. Vit à Barcelone)
13- Fernando Bryce (Lime, Perou, 1965. Vit à Berlin)
14- Fischerspooner (Groupe basé à Nova York, EUA depuis1998)
15- Gabriel Sierra (San Juan de Nepomuceno, Colombie, 1975. Vit à Bogota)
16- Goldin+Senneby (Groupe existant depuis 2004. Vivent à Stockholm)
17- Iran do Espírito Santo (Mococa, Brésil, 1963. Vit à São Paulo)
18- Israel Galván (Seville, Espagne, 1973. Vit à Seville)
19- Javier Peñafiel (Zaragoza, Espagne, 1964. Vit à Barcelone)
20- João Modé (Resende, Brésil, 1961. Vit à Rio de Janeiro)
21- Joan Jonas (New York, EUA, 1936. Vit à NewYork)
22- Joe Sheehan (Nelson, Nouvelle Zélande, 1976. Vive à Wellington)
23- Leya Mira Brander (São Paulo, Brésil, 1976. Vit à São Paulo)
24- Los Super Elegantes (Groupe crée à San Francisco, EUA en 1995. Vivent à Los Angeles)
25- Mabe Bethônico (Belo Horizonte, Brésil, 1966. Vit à Belo Horizonte)
26- Marina Abramović (Belgrade, ex-Yougoslavie, 1946. Vit à New York)
27- Matt Mullican (Santa Monica, EUA, 1951. Vit à New York)
28- Maurício Ianês (Santos, Brésil, 1973. Vit à São Paulo)
29- Mircea Cantor (Oradea, Roumanie, 1977. Vit à Paris)
30- Nicolás Robbio (Mar Del Plata, Argentine, 1975. Vit à São Paulo)
31- O Grivo (Groupe crée à Belo Horizonte, Brésil en 1990. Vivent à Belo Horizonte)
32- Paul Ramirez Jonas (Pomona, EUA, 1965. Vit à Nova York)
33- Peter Friedl (Oberneukirchen, Autriche, 1960. Vit à Oberneukirchen)
34- Rivane Neuenschwander (Belo Horizonte, Brésil, 1967. Vit à Belo Horizonte)
35- Rodrigo Bueno (São Paulo, Brésil, 1967. Vit à São Paulo)
36- Rubens Mano (São Paulo, Brésil, 1960. Vit à São Paulo)
37- Sarnath Banerjee (Calcoutá, Inde, 1972. Vit à New Délhi)
38- Sophie Calle (Paris, France, 1953. Vit à Paris)
39- Valeska Soares (Belo Horizonte, Brésil, 1957. Vit à New York)
40- Vasco Araújo (Lisbonne, Portugal, 1975. Vit à Lisbonne)

D’autres projets interdisciplinaires intègrent le programme de cette 28ème édition de la
Biennale de São Paulo
1 – « Archivo Abierto » – Centro de Documentación de las Artes, Centro Cultural Palacio la Moneda
Santiago, Chili
2 – CINEMA CAPACETE, Rio de Janeiro, Brésil
3 – Ivaldo Bertazzo, São Paulo, Brésil
4 – Weightless Days (Ângela Detanico & Rafael Lain [Brésil], Megumi Matsumoto & Takeshi
Yazaki [Japon], Dennis McNulty [Irlande]).

Résidences d’artistes

Depuis l’édition précédente la Biennale de São Paulo et la Fondation Armando Álvares Penteado
(Faap) invitent quelques artistes à produire leurs projets au Brésil. Pour la prochaine édition six
artistes préparent leurs projets en résidence à São Paulo.

Erick Beltrán (Méxique)
Gabriel Sierra (Colombie)
Goldin+Senneby (Suède)
Javier Peñafiel (Espagne)
Sarnath Banerjee (Inde)

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