Incredible Johnston

par Mai Tran

Bienvenue dans le monde délirant de l’Américain Daniel Johnston : artiste, chanteur, musicien. Schizophrène, maniaco-dépressif, obsessionnel compulsif, fou, les pathologies psychiatriques de Johnston sont lourdes. Bouffi, tremblant et abattu par un traitement médical à hautes doses, il mène, très entouré par sa famille, une extraordinaire carrière artistique et musicale depuis plus de trente ans. Suite à une véritable consécration de son travail à l’occasion d’une rétrospective au Whitney Museum en 2006, Daniel Johnston poursuit son inlassable quête de reconnaissance et de célébrité à travers le monde, soutenu par Kurt Cobain, Sonic Youth, Larry Clark et Matt Groening, le père des Simpsons…

L’invitation de l’artiste à Nantes par le lieu unique combine adroitement un très attendu concert public et une exposition d’une centaine de dessins, documents, cassettes audio, lettres de fans, photos, facsimilés, pochettes de disques, affiches, accompagnée par une bande sonore de plus de cinq cents chansons et la diffusion de documentaires réalisés (1) sur l’artiste.

Welcome to my world, titre que Johnston donne à cette exposition, où l’œuvre et l’intériorité de l’artiste sont définitivement indissociables, invite à saisir dans les méandres confus de son mental, autant une image de sa folie qu’une vision de l’Amérique puritaine, naïve et rêvée.

Agissant comme le profond exutoire de ses démons intérieurs, son œuvre graphique prolifère, libère, avec spontanéité et innocence, un arsenal symbolique démentiel où les forces du Bien et du Mal s’affrontent.

Au stylo-bille, feutres de couleurs primaires, ou gouache, Johnston enchevêtre, flottant littéralement sur le papier, super-héros de comics américains, portraits sataniques ou nazis, crânes sans cerveau, grenouille aux yeux multiples et femmes tronquées. Hulk, Captain America, Casper le fantôme, Jeremiah la Grenouille de l’Innocence… – pour ne citer que quelques-unes des figures récurrents de son travail – s’associent à des sentences qui résonnent comme les voix intérieures de son esprit violemment schizophrène : un monstre nazi assène “So you think you can kill me off just because Daniel Johnston gave the order” (Did Jack Kirby put up to this, 2001).

Dans la spirale infernale de l’univers mythologique Devil Town de Johnston, le song writer gribouille en lettres capitales “I am not sad but who ever I am is unreal”, “Suicide is no escape”, “I live my broken dreams”, “The curious monster fought for the right, for the truth and justice with the heart so pure and full of love”… Sous les trois vitrines, les documents de et sur Johnston s’accumulent, perçant à jour ses références à l’enfance, à la culture pop américaine, à ses dieux folk Les Beatles… Johnston convoque ici sa propre légende urbaine et la cohorte de fans qui le suit. Vendues à la sauvette, ses cassettes audios des années quatre-vingt, sont dûment alignées telles les reliques Do It Yourself d’une vie cristallisée autour de la foi, la psychose et une voix prodigieuse. La mélodie Johnston.

Mai Tran

 

 

(1) Jeff Feurzeig, The Devil and Daniel Johnston, 2005, primé au festival Sundance,

Olivier Nourisson, A Super Hero in Paris, 2007,

Anthony Crofts, The Angel and Daniel Johnston, 2003.

 

 


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