Franck Gérard chez Briobox

par Patrice Joly

Franck Gérard par Patrice Joly

Il y a chez Frank Gérard une ingénuité exemplaire, inaltérable, qui le soutient dans tous les compartiments de sa pratique. Depuis qu’il s’est aperçu que le monde recélait un trésor infini d’inouï, d’incongru, de féérique, il a décidé d’en faire le lieu exclusif de ses investigations. Aussi, il photographie massivement : sa méthode s’apparente plus à un protocole d’auto médication quotidienne qu’à des interventions ciblées, préparées : pas de favoris, pas de mise en scène, pas d’arrangements, il s’attaque aux contingences en ordre dispersé, sans réelle stratégie. En cela, il perpétue une tradition de photographes avides d’un réel auto-producteur de scénarios partant d’un quotidien bien trop banal a priori. Frank Gérard ne recherche pas particulièrement les dysfonctionnements ou les indices de dérèglements, il s’attache plus à capter au contraire les preuves d’un fonctionnement trop parfait. À la différence d’un Jean-Luc Moulène qui manifeste aussi cet engouement pour

en l'état

Franck Gérard, en l'état

un réel storyteller, Frank Gérard préfère les scénarios moins dramatiques, nettement plus enjoués, voire farceurs, qui le tirent du côté d’une espèce de burlesque instantané. Ce qui ne l’empêche pas de mettre en lumière les intrusions répétées dans le décor du quotidien, dans « son » décor, de ces éléments exogènes et incongrus que sont les avatars des produits commerciaux dont la présence se fait de plus en plus prégnante. Aussi, derrière cette naïveté première se révèle peut-être un véritable message d’alerte, ou du moins de mise en garde envers cet envahissement de l’espace public par les hordes masquées du neo libéralisme. Cette dimension militante se retrouve, cette fois-ci nettement plus vindicative à l’encontre d’un capitalisme triomphant quand il juxtapose deux assiettes, l’une miraculeusement retrouvée dans une brocante et se révélant être de la vaisselle à l’effigie des nazis, l’autre tout simplement provenant d’un stock d’objets cadeaux de la marque Shell destinés aux automobilistes fidèles : le rapprochement des deux évoque irrémédiablement une histoire de la propagande qui se perpétue à travers le siècle sous diverses formes.

Frank Gérard, en l'état

Frank Gérard, en l'état

Sortant à nouveau de sa prédilection pour le medium photographique, une autre installation met en scène un scénario plus que critique à l’endroit des marques et de leur hypocrisie sans fond : hypocrisie qui saute aux yeux dès que l’on accorde un tantinet de réflexion à la signification des slogans. Une autre pièce met en relief ce côté médecine douce du travail de Frank Gérard que l’on évoquait plus haut : dans une vidéo – que l’on devine réalisée avec les moyens du bord – un plan fixe sur la Tour de Bretagne à Nantes (l’unique gratte-ciel de la ville) montre le building s’estompant peu à peu pour finalement disparaître totalement sous un rideau de pluie : cette œuvre de jeunesse, hommage à sa ville natale, s’avère avoir été réalisée de son lit de convalescence où il se retrouvait sans autre possibilité d’action que l’enregistrement d’un réel, plus que jamais source d’enchantement et prodigue de soins.

Franck Gérard, En l’état, exposition inaugurale de la galerie Briobox, rue Quincampoix.

16 octobre  / 22 novembre 2009


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