Art-o-rama
La dernière édition d’Art-o-rama qui s’est déroulée les 1er, 2 et 3 septembre derniers a montré une nouvelle avancée de cette foire junior qui se révèle de plus en plus être une « vraie » foire, draînant des poids lourds du marché comme la galerie Eva Presenhuber de Zurich ou la galerie In situ de Paris, en même temps que de toutes jeunes galeries à peine repérées par les professionnels comme Kendall Koppe de Glasgow, dont c’est la première apparition en France avec un solo show de l’artiste glaswegien Niall Mcdonald, ou encore la galerie Frutta de Rome qui présentait les productions de Gabriele De Santis et Jacopo Miliani, artistes italiens très peu vus en France.
Après des débuts un peu flottants (seulement huit galeries invitées au départ), l’édition 2012, avec sa vingtaine de galeries internationales (non pas dans le sens du slogan formaté dont abusent généralement les foires off pour donner l’impression d’avoir affaire à des galeries de premier ordre lorsqu’un examen plus poussé se révèle souvent décevant), affiche une réelle qualité de programmation. Si l’on se penche un peu plus en détail sur la sélection, on trouve une majorité de galeries françaises dont la plupart font la Fiac (ce qui est un gage de qualité vu les critères de sélection mis en place par Jennifer Flay depuis son arrivée à la tête de cette foire majeure) mixée avec des galeries en provenance d’un peu partout, de Glasgow, donc, mais aussi de Barcelone, Berlin, Madrid, Los Angeles, Bruxelles, Zurich, Amsterdam, Tokyo, présentant à chaque fois des propositions d’artistes réellement intéressantes comme cette nouvelle série de toiles de Valentin Carron chez Presenhuber lorsque la galerie aurait très bien pu ne présenter que des pièces anciennes et aussi les pièces de Morgane Tschiember désormais en waiting list sur le stand remarqué de Super Window Projects. Au nombre des galeries françaises, de jeunes galeries parisiennes, donc, qui sont animées d’une belle énergie en ce moment, comme Crèvecœur qui présentait des pièces de Jorge Pedro Nunez et des frères Quistrebert ; mais aussi des stands très inattendus comme le face-à-face particulièrement réussi de Sarah Tritz et d’Alun Williams, ce dernier affichant de manière de plus en plus décomplexée une production picturale où un motif récurrent et informe vient perturber une très ancienne histoire de la peinture
(après avoir fondé l’association Triangle dont il est désormais le président honoraire et la galerie Parker’s box à Brooklyn, l’anglo marseillais ose enfin affirmer une pratique parfaitement relayée par sa galeriste parisienne Anne Barrault). Forte de sa dimension expérimentale originelle, Art-o-rama laisse la part belle aux très jeunes galeries qui y sont plutôt bien représentées : ainsi ACDC de Bordeaux qui s’affirme comme l’une des valeurs sûres de cette nouvelle génération avec les productions de Bastien Cosson et Morgane Fourrey (à noter également en ce qui concerne les artistes de la galerie l’intervention de Pierre Labat au domaine de Saint-Ser, au pied de la montagne Sainte Victoire, où
l’artiste présentait une installation in situ, écho « fractalien » à la célébrissime montagne qui domine le paysage alentour1), Torri de Paris avec le « mobilier » bouvardo-pécuchetien très remarqué de Gareth Long ou encore Marie Cini avec le face-à-face – à nouveau – des deux artistes Laurent Mareschal et Leila Brett, affichant tous deux des réflexions sur la grille où le pointillisme obsessionnel et méticuleux de l’une s’oppose à l’entropisme programmé de l’autre.
Par ailleurs, Art-o-rama a mis en place un show-room dédié à la production de quatre jeunes artistes de la région, l’occasion de réelles découvertes (sauf pour Yann Gerstberger déjà repéré sous d’autres latitudes) sous le parainage d’un commissaire invité (en l’occurrence François Aubart pour l’édition 2012)
qui nous permet de renouer avec une production marseillaise émergente dont on est un peu privé depuis quelques années, du fait de la baisse de régime des institutions qui permettent généralement à la jeune génération de faire ses premiers pas. L’origine associative d’Art-o-rama confirme définitivement l’impression que la régénération de la cité phocéenne passe par ce tissu très énergique et inventif qui recolle les morceaux d’un patchwork pour le moins décousu. Solidement implantée dans la Friche de la Belle de Mai au milieu de ses consœurs associatives, dont Triangle, Sextant et Astérides composent le fer de lance, Art-o-rama prolonge efficacement une action en faveur d’une redynamisation de la cité en lui donnant une crédibilité au-delà des soutiens publics : le 1er septembre, au cours d’une tombola destinée à alimenter les caisses de l’association Triangle via des dons d’artistes, nous assistions justement au « show » de passation de pouvoir entre une Dorothée Dupuis très en verve mais néanmoins émue et sa nouvelle directrice Céline Kopp.
Triangle réunit en effet des résidences d’artistes et de critiques d’art (dans un appartement avec vue imprenable sur le port de la Joliette) et des ateliers nichés dans la friche ; elle produit également des expositions régulières de ces artistes invités. Désormais connectée avec des artistes en provenance du monde entier, l’association commence à être très bien positionnée dans le grand networking international du nomadisme artistique. L’historique Astéride, une des premières association à avoir créé des ateliers d’artistes à la friche poursuit une activité très similaire à celle de Triangle ; il en est de même pour Sextant dont la spécialité semble-t-il soit de produire de grandes manifestations dans le lieu d’exposition de la friche en cours de réaménagement : toutes ces associations qui impulsent une énergie soutenue à la cité ensoleillée seront bientôt réunies dans un cluster, le Kartel, en cours également de construction en plein milieu de la friche, et qui doit être livré pour la grand messe de Marseille 2013… Avec l’inauguration du FRAC à la fin de l’année, nouveau vaisseau amiral de la flotte art contemporain, il est à parier que Marseille reconquière d’ici peu une pleine capacité de monstration dont elle n’aurait jamais dû s’éloigner et qui témoigne de l’énergie et du dynamisme artistique de la deuxième ville de France.
1 : à l’occasion d’Art-o-rama, l’association Voyons-voir spécialisée dans la mise en place de résidences suivies d’installations en lien avec le paysage et notamment les domaines viticoles de l’arrière-pays, organisait la présentation des œuvres de la saison 2012. Outre Pierre Labat, Clément Bagot et Guillaume Gattier investissait le Domaine de Saint-Ser tandis qu’au Domaine de Château de Grand Boise, c’étaient les œuvres d’Iveta Duskova, Jérémie Delhomme, Sandra Lorenzi et Emilie Perotto qui étaient présentées.
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- Du même auteur : À propos de MAD, entretien avec Sylvie Boulanger, Prix jeune création 2014 : Oriane Amghar, Rosson Crow, L’avant-garde est-elle (toujours) bretonne ?, Par les temps qui courent au LiFE, Saint-Nazaire,
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