Xavier Veilhan au Frac Pays de la Loire
« De plain-pied »
17 mai – 1er septembre 2024
Sur l’île de Nantes, on marche lentement, surtout quand c’est l’été. On avance tranquillement le long du quai des Antilles, quand soudain quelque chose dans notre champ de vision perturbe notre rythme – on s’arrête, on hésite, on vacille en voyant un motard élancé à toute allure derrière une vitre. Avant même de franchir le seuil du Frac, qui donne pourtant tout de suite sur les œuvres, on était déjà dans l’exposition.
Intitulé « De plain-pied », ce solo-show de Xavier Veilhan décompose les mouvements, les aligne, les épingle, les étudie, dans une déambulation qui rassemble des œuvres inédites et d’autres historiques. Sculptures, peintures, photographies et vidéos convoquent corps animés et animaux pour former un seul immense bestiaire qui embrasserait toutes « ces choses qu’on connaît tous sans jamais les avoir vues en vrai » (Xavier Veilhan).
A commencer par ce motard élancé à toute allure, qui ouvre l’exposition tout en marquant le début de la collaboration entre l’artiste et le Frac il y a plus de trente ans. Un soutien à la création et un accompagnement des artistes sur le long terme qui fait le cœur de la vocation des FRAC, en l’occurrence dans le contexte de la participation de l’artiste aux Vème Ateliers Internationaux au Frac des Pays de la Loire, en 1992. Xavier Veilhan y produit l’œuvre Sans titre (La moto) acquise par le Frac la même année.
Pour la réaliser, l’artiste a photographié une par une toutes les pièces d’une moto, puis les a reproduites à l’identique et à l’échelle avant de les assembler et de surmonter la machine d’un pilote, lui aussi produit à partir d’un modèle réel, ami de l’artiste. La sculpture est fabriquée à partir de mousse de polyuréthane : une matière dont la propriété est de s’expandre très rapidement au contact de l’air, occupant tout l’espace dont elle dispose avant de s’arrêter, de se solidifier et même de s’imperméabiliser à son environnement. Elle se fige, complètement et absolument, au paroxysme de son expansion – précisément comme le sujet représenté.
Le geste de l’artiste tient ici de celui d’un taxidermiste : épingler chaque partie d’un tout pour le comprendre avant de le reconstituer. Epingler chaque rouage, chaque moteur d’un mouvement suspendu, arrêté, attrapé, le temps de pouvoir bien le regarder. Et puis tout remettre en ordre, exactement comme il le faut, dans un geste d’organisation suprême qui ne vise qu’à s’effacer lui-même.
Epingler chaque mouvement ; chaque moteur de chaque élan ; chaque partie du tout pour en saisir le fonctionnement. Un geste repris tout au fond de l’espace d’exposition, comme un seul et même horizon dessiné par trois « chutes libres » (Free Fall n°1, 2 et 3, 2011) épinglées sur papier. Trois fragments de corps capturés dans un simulateur de chute libre, les contours de leurs silhouettes noires sur fond blanc, tandis qu’à leurs côtés une silhouette apparaît tout entière, debout (Marey, 2008). Cette dernière porte le nom d’Etienne-Jules Marey, physicien qui inventa la chronophotographie en 1889, et reproduit la silhouette du modèle d’après lequel il parvint à décomposer le mouvement et à le décrypter par la photographie. L’œuvre elle-même présentée de plain-pied, comme un grand miroir psyché que l’on nous tendrait. Face à elle, on réfléchit notre propre parcours dans l’exposition – notre passage parmi les multiples sculptures présentées sous le nom de Mobiles et Stabiles, distribuant tout-à-tour le mouvement et l’arrêt autour des corps qui s’aventurent et qui s’engagent chacun dans leur propre traversée.
Tout se passe comme si l’ensemble de l’exposition n’était qu’un vaste dispositif d’étude des moindres mouvements des corps des visiteurs et de leur relation à leur environnement. D’où l’importance donnée à l’architecture de l’espace, de plain-pied, qui pose l’horizontalité comme principe de monstration des œuvres. Alors, la distance avec les œuvres, le rapprochement, la circulation deviennent les curseurs par lesquels on peut moduler l’expérience de la visite : par exemple, on ne peut lire que de loin la peinture Paysage n°7 (Cap Coz) (2024), réalisée d’après plusieurs photographies portées à très basse définition, et comme retenues sur le seuil de la visibilité.
Cette horizontalité met aussi d’une certaine manière sur un pied d’égalité des œuvres aussi bien monumentales, exceptionnelles (cf Instrument n°7, 2022, guitare de trois mètres présentée au sein du Studio Venezia, que Xavier Veilhan a réalisée pour le pavillon français lors de la Biennale de Venise de 2017) ; que plus modestes, à échelle humaine, voire quotidiennes (cf Film Catastrophe, 2024, qui recense des formes d’étude et des objets de tous les jours filmés en pleine chute avec le téléphone de l’artiste). Des œuvres d’une grande pluralité et parfois d’une grande rareté (cf Le Rhinocéros, 1999-2000, prêt du Musée National d’Art Moderne, Centre Pompidou, Paris) qui se trouvent soudain à hauteur de regard et presque à portée de main, formant toute une faune mêlée aux corps des visiteurs derrière les vastes baies vitrées du bâtiment.
Une exposition comme un seul grand bestiaire vivant, depuis les motos et Les Pigeons (1990, ensemble de neuf toiles) proches de l’entrée, jusqu’aux présences géométriques et exotiques qui peuplent l’environnement. Un bestiaire au sein duquel tout, jusqu’à notre propre corps, évolue et s’observe ; s’il est vrai qu’entre ces murs il s’agit d’étudier ces choses, ces animaux, ces objets que l’on connaît toujours sans jamais les avoir vus en vrai – sans avoir pu les arrêter, les capturer pour les examiner, les étudier sous toutes leurs coutures, de loin et de près.
Head image : Vue de l’exposition de Xavier Veilhan, De plain-pied au Frac des Pays de la Loire, site de Nantes, 2024
Scénographie : Alexis Bertrand ; Cliché : Fanny Trichet
Xavier Veilhan – Alexis Bertrand © ADAGP Paris 2024
- Publié dans le numéro : 109
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- Du même auteur : Caroline Mesquita à la Hab Galerie, Nantes, La grotte de l’amitié à la Maréchalerie, ÉNSA Versailles, Marion Verboom à la Galerie Lelong « Da Coda », Design Sediments à Huidenclub, Rotterdam, Gina Folly à la synagogue de Delme,
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