r e v i e w s

Une forme pour toute action

par Anne Bonnin

Le Printemps de Septembre à Toulouse

 

Jochen Dehn, Paradis Evacuation, 2010. Extrait vidéo.

Jochen Dehn, Paradis Evacuation, 2010. Extrait vidéo.

Prenant acte d’une reviviscence de la performance dans les arts plastiques, les commissaires du Printemps de Septembre 2010, Eric Mangion et Isabelle Gaudefroy, en proposent un panorama sous l’angle des relations entre forme et action. Le titre rappelle celui, fameux, de l’exposition de Harald Szeemann Quand les attitudes deviennent forme, de même qu’il fait écho au rapport art / vie au cœur des préoccupations des auteurs des premiers happenings et events. Cependant, il ne s’agit plus aujourd’hui d’« une attitude qui dicte la forme, mais qui engage à considérer l’action qui est à l’origine. »1 Face à la prolifération de formes actées ou agies, on se demande si celles-ci ne viseraient pas à atteindre efficacement un destinataire, sur le modèle de la rhétorique dont l’un des moyens est l’actio. En se fondant sur son histoire, Eric Mangion distingue trois critères a minima : elle procède d’une hybridation des genres, elle a lieu devant un public et manifeste une attitude de conquête. Néanmoins, la variété extrême de ces formes-actions, que reflète le Printemps, rend difficile la définition théorique et même artistique de la performance. La performance est partout dans les arts plastiques et se donne aussi en spectacle au théâtre. Son renouveau puise en partie à l’une des sources du happening qui impliquait la présence de spectateurs : le théâtre. Une humeur festive se dégage du Printemps comme des actuelles programmations de performances, en particulier celle du Forum au Centre et du Nouveau Festival au Centre Pompidou qui exaltent jusqu’à la transe la transdisciplinarité !

En 1964 à Paris, Kaprow commence un happening au Théâtre Récamier qu’il quitte pour mener une déambulation nocturne dans Le Bon Marché : « nous sommes venus au théâtre pour le quitter »2. Cherchant à développer un art indisciplinaire avec un matériau vivant, les performeurs s’inspirent du théâtre pour le quitter et le déplacer dans la vie : « la substance du happening était les événements en temps réel comme au théâtre et à l’opéra » (Allan Kaprow). Or, nombre de performances reposent sur un dispositif – un script pour Kaprow, une partition pour George Brecht, un scénario pour Dora Garcia – qui leur confère une forme tout en les insérant dans le cours des choses et des vies. Pour Dora Garcia, fidèle à cet esprit pionnier, la performance vise à agir sur des destinataires, dans la mesure où elle « est un état de conscience » qui demande du temps et une mise en condition aussi bien pour la personne qui la réalise que pour celle qui y assiste. Dora Garcia commence une conférence par une adresse brutale à l’auditoire : « Quel Putain de Merveilleux Public ». Dans un tout autre registre, combinant show pop et rites occultes, Michael Portnoy met en scène des cérémonies de jeu de rôle, sans ménagement pour ses « cobayes » choisis dans l’assistance – décors et objets devenant par ailleurs des sculptures. En effet, la performance, malgré son caractère éphémère, produit toutes sortes d’œuvres pérennes : vidéos, installations, sculptures, peintures, etc. Le Musée des Abattoirs présentait des installations ressemblant à des décors avant ou après performance. Le musée accueillait-il donc une muse absente ? Certains artistes ont travaillé de façon ad hoc à partir de la question inévitable que pose le devenir muséographique d’un art vivant : Olivier Dollinger, Arnaud Labelle-Rojoux, Marie Reinert. Reinert a encombré la vaste nef des Abattoirs d’un monumental déballage de caisses d’œuvres, évoquant Kaprow (Stockroom, 1960) ; Labelle-Rojoux a réalisé un autoportrait muséographique de son histoire d‘actant pour l’art et Dollinger a conçu une virtuose œuvre totale, à la fois film, attraction illusionniste, accrochage et mise en abîme ; son film montre le numéro d’un prestidigitateur qui envoûte des objets géométriques. Cependant, une large place était également accordée à une performance politique – au sens large du terme. Le Musée des Jacobins, entre autres lieux, présentait de belles vidéos connues ou historiques (Francis Alÿs, Felix Gmelin, Santiago Serra, etc.), mais aussi récentes :  Pacôme Béru et Yann Leguay ont filmé un concert champêtre dont les vaches sont le public ; Jochen Dehn a tourné un film d’action dans les rues de Toulouse : la caméra suit un groupe de personnes mimant des scènes d’évacuation selon un scénario catastrophe – leur gestuelle réaliste produit un effet comique. Nombre de performances étant (destinées à être) filmées pour un spectateur après coup, c’est donc, parfois, la vidéo qui constitue la forme de l’action. Pour conclure ce compte rendu, qui ne rend pas compte de la riche programmation qui offrait force réjouissances, une curiosité filmique, brute et bruyante, de Charlemagne Palestine : la caméra devient un minotaure furieux et mélancolique, conscient de l’obsolescence inhérente à toute action – morte parce que vivante3.

Enquêtant sur un médium hybride, ce Printemps 2010 offrait une traversée de formes-actions, tour à tour ou en même temps conférence, concert, danse, sculpture, poésie, etc. La performance est « ce qui perd forme » (David Zerbib)4. Elle est atteinte de frégolisme : sa force réside dans son transformisme, au risque de disparaître dans des formes dont elle serait le prétexte. Délaissant de façon symptomatique le corps-organe, elle affirme une capacité de mutation vitale : une transformaction.

Le Printemps de Septembre, Toulouse, du 24 septembre au 17 octobre 2010. Direction artistique d’Eric Mangion et d’Isabelle Gaudefroy.

1 & 2 Extraits du texte d’Eric Mangion publié dans le catalogue du Printemps de Septembre 2010.

3 Allan Kaprow, Les happenings sont morts, longue vie aux happenings ! et le texte de Barbara Formis Les arts vivants sont mors vivants vive les arts vivants !, art press 2, « Performances contemporaines », 2010.

4 Titre de l’exposition documentaire de David Zerbib sur l’histoire de la performance au Château d’Eau à Toulouse «  Ce qui perd forme. ». Radicalement didactique, l’exposition était à lire.


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