Tania Mouraud
Ad nauseam, Mac Val, du 20 septembre 2014 au 25 janvier 2015
Une Rétrospective, Centre Pompidou-Metz, du 4 mars au 5 octobre 2015
La grande salle des expositions temporaires lui est entièrement réservée : la vidéo Ad nauseam réalisée par l’artiste à l’occasion de son exposition personnelle au mac/val barre le fond de l’espace d’une projection gigantesque de trente-sept mètres de large et de sept mètres de haut, soit la totalité du mur. C’est l’œuvre principale d’une exposition diffractée entre intérieur et extérieur de cette artiste majeure de la scène française qui poursuit sa « tournée » en France après le musée de Saint-Étienne et juste avant sa rétrospective au Centre Pompidou-Metz. On retrouve à Vitry les éléments saillants d’une pratique marquée par des préoccupations sociales, pour ne pas dire politiques, et la disparition d’un accès privilégié à la culture ; préoccupations qui se manifestent autant par de grands wallpaintings bordant et prolongeant l’espace muséal que par des projections vidéo et autres interventions monumentales qui viennent concurrencer la saturation visuelle de l’espace public.
Tania Mouraud s’est fait connaître dans les années soixante-dix par ses Initiation rooms qui s’inscrivent dans le droit fil des réflexions des artistes californiens regroupés sous le terme de « Light and Space ». Une parfaite articulation entre la blancheur des lieux afin de faire vaciller les repères sensoriels et un traitement sophistiqué du son qui intègre les dernières avancées de la musique électronique, fait la spécificité de ces dispositifs qui participent de la grande aventure de l’art conceptuel. Pensés plutôt comme des « machines d’isolement sensoriel », ils entretiennent des rapports étroits avec la pratique de la méditation, du moins dans une volonté de s’isoler des éléments du dehors qui font barrage à la concentration sur son propre soi : la critique d’une dérive mystique ne manque pas d’être portée à l’encontre de l’artiste qui revendique par ailleurs une recherche d’absolu. Cet intérêt pour les immersions spatiales et sonores ne se démentira jamais, Tania Mouraud poursuivra dans les années quatre-vingt ses expérimentations dans des boîtes de nuit comme le Palace, qu’elle investira à de nombreuses reprises. Toute l’attention portée à la conscience individuelle se déplace dès lors vers l’exploration des mécanismes en jeu dans l’établissement d’une conscience collective sans cesser pour autant de s’intéresser à ce pouvoir de l’art de plonger le ou les spectateurs dans de véritables « bains audiovisuels ».
Ad nauseam se situe dans le prolongement de ces recherches antérieures : la multiplication des sources sonores parsemant l’espace de projection, la sophistication de la production qui a fait l’objet d’une collaboration poussée avec l’Ircam, portent à son apogée les recherches de l’artiste. Le film nous plonge dans les entrailles d’une usine de papier, nous sommes au plus près de la machine qui broie, déchiquète, avale, recrache en milliards de filaments les innombrables volumes ingurgités… Inutile d’insister sur la dimension allégorique de cette œuvre : le symbolisme de la destruction par l’industrie de ce qu’il reste d’une culture livresque est sidérant d’efficacité. On y est confronté à l’angoisse de la disparition des ouvrages à travers des évocations furtives d’autodafés et de destructions massives d’autres symboles culturels qui résonnent étrangement avec l’époque… Certains y voient même des images de charnier. L’osmose est parfaite entre le son lancinant qui recycle les captations issues des machines papivores et la vidéo qui boucle à l’infini les images de la « digestion » : difficile d’échapper à la prégnance du son qui ramène instantanément à la vidéo en forçant à ouvrir les yeux.
L’humanité menacée dans ses manifestations sensibles et culturelles via la saturation des signes urbains est la deuxième grande préoccupation génératrice d’œuvres chez Mouraud, préoccupation qui fait écho, en la déplaçant hors de l’espace muséal, à l’allégorie qui sous-tend Ad nauseam. Très tôt, l’artiste s’est attaquée à la publicité qui envahit les murs des grandes villes en investissant les sites mêmes de l’apparition des messages promotionnels, les panneaux d’affichage publicitaires. Les grands « NI » qu’elle affiche dans les années soixante-dix complètent un arsenal revendicatif destiné à sensibiliser sur les lieux mêmes de leur passage les habitants de la cité. Ces premières expérimentations donnèrent lieu par la suite à une réflexion plus sophistiquée mêlant un travail sur l’invisibilité du message associé à un investissement de l’espace public. Le message étroitisé à l’extrême disparaît presque en laissant place à une quasi abstraction visuelle : les slogans colportés par ses grands wallpaintings disent à peu près tous la disparition des messages poétiques et politiques dans la cité, enfouis sous les multiples couches de l’entropie publicitaire, qu’il faut cependant absolument se forcer à prendre le temps de décrypter, sous la menace de voir disparaître à jamais nos espaces de liberté : CEUXQUINEPEUVENTSERAPPELERLEPASSESONTCONDAMNESALEREPETER1
1 Message du wallpainting sur la façade latérale du mac/val.
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- Du même auteur : 9ᵉ Biennale d'Anglet, Biennale de Lyon, Interview de Camille De Bayser, The Infinite Woman à la fondation Carmignac, Anozero' 24, Biennale de Coimbra,
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