r e v i e w s

Sur la route, et après

par Etienne Bernard

Alain Bublex, 
Le vrai sportif est modeste , au Parc Saint Léger, Pougues-les-Eaux, du 8 octobre au 18 décembre

L’exposition du français Alain Bublex présentée actuellement au Parc-Saint-Léger de Pougues-les-Eaux relève à première vue plus du compte rendu d’expériences que du display auquel on serait en droit de s’attendre dans un centre d’art. Et même, plus loin que le compte-rendu, l’artiste s’y amuse du mode de monstration que constitue le reliquaire.

Ici, deux projets sont réunis en leur qualité d’expériences humaines et techniques par une scénographie un brin désuète structurée par deux véhicules présentés sur socles. Le premier est le prototype d’une moto feet-first (littéralement les pieds devant) qui remet en cause la position globalement admise de conduite du deux roues. L’artiste s’est intéressé à l’idée défendue par toute une communauté de bikers convaincus que le pilotage à demi couché en arrière serait de loin plus optimal que la doxa du corps penché en avant imposée par les constructeurs. À l’invitation du centre d’art, il a collaboré avec un groupe d’élèves ingénieurs pour tenter l’idée et in fine réaliser un véhicule hybride, un brin loufoque, résultat de plusieurs mois d’étude et de recherche en atelier et sur circuit. Le second est un Renault Espace de la fin des années quatre-vingt dont les vertus mécaniques et de confort ont été de fait éprouvées et amendées de longue date. Avec lui, Alain Bublex a décidé d’entreprendre un périple de près de 30 000 kilomètres à destination du pays du soleil levant, et retour. Du voyage lui-même, l’artiste ne ramène rien ou presque, car l’objet de ce qu’il a intitulé l’expérience wabi-sabi, 2011, est la lente dégradation du véhicule au fil de la route. Le caractère romantique se déplace ici de l’explorateur-aventurier à son outil de déplacement qui imprime un peu plus à chaque kilomètre engrangé les stigmates de l’expérience pour au final en porter le sens, la mémoire et cette « beauté mélancolique d’une chose simple et usée » que les japonais nomment « wabi-sabi ».

Cette réunion de projets serait-elle un peu forcée ? Au contraire, à deux, ces expériences qui ont occupé une bonne partie de la dernière année de travail de l’artiste, bouclent une boucle. L’une se matérialise par le prototype qui en constitue la fois l’objet, le résultat et la promesse de développement ; l’autre fait ostensiblement montre par l’usure de l’épreuve que l’artiste a imposée au véhicule. Mais, encore une fois, le monospace constitue ici autant le sujet d’étude du laborantin Bublex qu’un résultat produit : un objet potentiellement porteur des attributs du wabi-sabi. Et sa présentation briquée, sur un socle comme au Salon de l’Auto, de surjouer la mystification, voire la glorification, d’une déchéance romantique par l’expérience.

Au bout de ces deux bancs d’essai, l’exposition devient le lieu du souvenir, de l’évocation de ce qui a pu se passer dans les ateliers d’une école d’ingénierie automobile ou sur une route aux tréfonds de la Sibérie. Et au-delà de la fascination générée par le jusqu’au-boutisme bublexien, Le vrai sportif est modeste (c’est le titre de l’exposition) vaut justement manifeste ou revendication de cette modestie dans la production. Les deux projets, aussi ambitieux soient-ils, ont été pensés et réalisés dans une économie à l’échelle de l’amateur qu’on imagine bricolant le dimanche dans son garage bien loin de toute logique industrielle. La prototype de feed-first n’est qu’un scooter d’occasion rebidouillé dans la pure tradition des geeks bloggers (desquels Alain Bublex présente d’ailleurs les échanges via un ordinateur de bureau branché sur un forum de discussion) tandis que l’Espace hors d’âge fut réparé à la petite semaine par son artiste de pilote tout au long du périple avec les moyens du bord (de route) dont il est également fait étal dans une série de vitrines à l’étage. De ce display singulièrement fétichiste, les mauvaises langues railleront une fascination béate pour le « de-bric-et-de-broc » et il y a certainement un peu de cela. Mais reste surtout que celui qui débuta sa vie professionnelle dans les bureaux de design d’un constructeur automobile a depuis longtemps évacué de sa pratique toute addiction pour la supposée perfection vendue par la sphère industrielle pour trouver dans l’astreinte économique et technique une richesse productiviste à une échelle domestique. Et quant à savoir si sa recherche ne tend pas à verser dans une simple esthétique Do It Yourself, l’artiste répond tranquillement que c’est un risque qu’il est prêt à assumer mais que là n’est pas son propos.