r e v i e w s

Sonic Youth et Zilvinas Kempinas à Saint-Nazaire

par Antoine Marchand

Not on Top / Empire of Quiet

À la lecture de la liste des artistes réunis dans l’exposition consacrée à Sonic Youth au Life de Saint-Nazaire, on pouvait craindre le simple name dropping, le patchwork chic et branché de pièces sans véritable problématisation. Et Sonic Youth etc. : Sensational Fix n’évite malheureusement pas l’écueil de la collection fétichiste. Plombée par une laborieuse et maladroite scénographie faite de boxes de foire obstruant toute vision d’ensemble, l’exposition peine à retranscrire l’énergie du mythique combo new-yorkais. Bien sûr, la qualité des artistes avec lesquels Kim Gordon, Thurston Moore, Lee Ranaldo et Steve Shelley ont collaboré depuis leurs débuts – Richard Kern, Mike Kelley, Jeff Wall ou encore Richard Prince – permet de voir ou revoir nombre de pièces emblématiques. Mais que ces œuvres côtoient, sans hiérarchie aucune, vidéos de concert, posters, disques, guitares, voire même un épisode des Simpsons (1) – aussi réussi soit-il – crée une confusion des genres et une surabondance qui desservent l’exposition et la rendent quasi illisible. Cette « esthétique de l’accumulation », exemplifiée par la pièce introductive de Christian Marclay composée de cinq mille disques vinyles jetés au sol, trouve ostensiblement ses limites. Qui trop embrasse, mal étreint. À vouloir trop (tout ?) montrer, les commissaires se sont contentés de survoler, sans développer de propos précis sur les accointances de Sonic Youth avec différents milieux artistiques depuis près de trente ans. Néanmoins, Sensational Fix recèle tout de même quelques moments intéressants. Elle permet en premier lieu de replacer le groupe dans une histoire de l’art contemporain, quelque part entre la rigueur de Dan Graham, les expérimentations de Stan Brakhage et l’énergie primitive de Vito Acconci. Au fur et à mesure de la déambulation défile devant nos yeux toute une histoire de l’underground aux États-Unis, qui fait écho au Lipstick Traces (2) de Greil Marcus. On croise en effet des photos et dessins d’Allen Ginsberg, de William Burroughs ou de Gregory Corso, éminents représentants de la Beat Generation. Là, des vidéos de Raymond Pettibon ou Tony Oursler rendent compte d’une énergie juvénile héritée du punk et de l’esthétique DIY, également présente dans les vidéos de skate de Spike Jonze ou Mark Gonzales. Plus loin est projeté Rock my Religion, film manifeste de Dan Graham sur le communautarisme rock. S’égrainent ainsi au détour des alcôves cinquante ans de contre-culture qui permettent de saisir le rôle prépondérant et charnière joué par les quatre new-yorkais, à la fois défricheurs, passeurs intergénérationnels et intercultuels, perpétuelle source d’inspiration pour de nombreux artistes. Il est peu de groupes qui réussissent à traverser les époques en conservant leur intégrité, une qualité artistique jamais prise en défaut – alchimie jubilatoire entre expérimentation, Noise et Pop – et une curiosité sans cesse renouvelée. Sonic Youth est de cela. Et si Sonic Youth etc. : Sensational Fix n’est résolument pas une grande exposition manifeste, elle s’avère un passionnant outil sociologique pour qui prend le temps de la mise en perspective.

En contrepoint de l’agitation et du chaos ambiant du Life, au Grand Café et à la galerie des Franciscains, les travaux de Zilvinas Kempinas composent une expérience propice à la méditation et au repli sur soi. Depuis le succès de sa Flying Tape en 2006 au Palais de Tokyo – principe d’une bande magnétique maintenue dans les airs par le souffle de ventilateurs -, hybridation surprenante entre art cinétique et minimal rappelant le célèbre Blue Sail de Hans Haacke, on attendait impatiemment une exposition plus conséquente de cet artiste lituanien en France. Sur le même principe, Airborne joue sur la quasi-disparition du ventilateur pour accentuer la sensation magique de flottement autonome de la bande, alors que Big O souligne la verticalité de la galerie des Franciscains, autrefois lieu de culte. Dans Lemniscate, la boucle de la bande magnétique dessine un symbole instable de l’infini enfermé par les forces contraires de deux ventilateurs, dans une ritournelle obsédante et sisyphéenne. Malheureusement, malgré leurs évidentes qualités formelles, ces trois installations recyclent le vocabulaire déjà développé à Paris et laissent une vague impression de frustration, de déjà-vu. Still parvient en revanche, à partir des mêmes éléments plastiques, à renouveler foncièrement le langage de l’artiste et prouve la capacité de Zilvinas Kempinas à ne pas s’enfermer dans la facilité. Dans la pièce majeure de cette monographie, les bandes magnétiques, suspendues de part et d’autre de l’espace pour frôler le sol en son centre, zèbrent la salle. Au premier mouvement du visiteur, elles initient une légère oscillation et évoluent ensuite à mesure que l’on tourne autour, passant du plan au volume, de la ligne à la courbe jusqu’à parfois quasiment disparaître. Cette installation si lourde au premier regard – les bandes magnétiques ressemblent à des barres de métal – se révèle d’une immense fragilité et encourage la disparition physique de l’œuvre jusqu’à sa dématérialisation. Regard ironique sur la rigidité, l’angulosité et la froideur de la facture minimale, tout ici est affaire de perception, de rapport à l’espace, préceptes fondamentaux du minimalisme des années 1960, développés dans leur acception subversive. Dans le sillage éclairé de Robert Morris et de ses Felt Pieces, sculptures de feutre modelées par la gravité et non plus par l’artiste, Zilvinas Kempinas objecte une perspective majestueuse au poncif de l’interactivité.

(1) Le fameux Homerpalooza, 24e épisode de la septième saison des Simpsons.
(2) Greil Marcus, Lipstick Traces, une histoire secrète du XXe siècle, éditions Allia, 1998.

archives sonicyouth6359light

archives Sonic Youth, vue de l’exposition Sonic Youth etc. : Sensationnal Fix au Life, Saint-nazaire, 2008. ph. Marc Domage