r e v i e w s

Roy Köhnke

par Félicien Grand d’Esnon

Fleur, Feu 
Roy Köhnke 
Centre d’art contemporain d’Ivry – le Crédac 
19.01 –  23.03.2025 

En opposition à toute idée de catégorisation, d’ordre omniscient établi par l’espèce humaine, l’artiste Roy Köhnke offre aux visiteur·euse·sx des potentialités de résistance et de transformation. L’exposition « Fleur, Feu », au travers de sculptures, dessins, textes et vidéos, dévoile un paysage de corps en mutation. Au fur et à mesure de notre exploration, des espèces, parfois menaçantes au premier abord, abritent des poches de douceur et de poésie contenue, accouchant de nouvelles alliances politiques, fécondes et sexuelles. Bien qu’il y ait la sensation de pénétrer une fable de science-fiction, les trois salles ne forment pas un récit linéaire. Des futurs possibles se découvrent, mais c’est à nous d’y déceler leur potentiel.  

En balayant du regard la première salle, des structures métalliques nous accueillent. Un sentiment initial de contrition surgit, comme si l’on entrait dans un espace carcéral fait de grilles et de pièges. Les Trap series (2024), des enchevêtrements en inox, pointus et tranchants, révèlent pourtant un mouvement de vie et un désir de s’échapper de cette rigidité première. Sculptée et soudée par Roy Köhnke, la matière semble vouloir se libérer de ses contraintes. Le danger premier laisse place à des formes plus douces. L’inox emprisonné se contorsionne et s’incarne face à nous. Le métal scintille comme des pulsions de vie, et la matière inerte devient organisme vivant. Les Xray style series (2024), qui les accompagnent, en sont les plans de constructions à l’échelle 1. À l’instar d’un rituel d’invocation, ces schémas géométriques, brûlés par la soudure qui a donné vie aux Traps, deviennent des matrices pour ces corps contemporains. Les images d’organes sexuels d’orchidées, scotchées à même le papier kraft, renforcent l’idée d’une reproduction d’ordre naturelle. Les Parade series (2024) attenantes et leurs linceuls diffractant la lumière, font autant penser à une technologie de camouflage militaire qu’un apparat de séduction, peut-être pour des proies ou des partenaires. 

Plus loin, trois sculptures en plâtre à taille un peu plus grande qu’humaine s’érigent fièrement. Ces Suspended Consumption (2020-2021), ressemblant à des fossiles d’organisme marins, se sont développés autour de câbles Ethernet. Leur apparence – un dos délicatement poncé rappelant la texture de la peau et un intérieur brut évoquant une carcasse en décomposition – incarne une dualité contemporaine. Là où les décideurs et les entreprises de la tech invisibilisent la trace physique d’Internet et du cloud, il faut exploiter de plus en plus de ressources pour suivre la demande. Ces entités parasites naissent ainsi d’infrastructures qui ont été cachées sous la mer ou dans des bunkers de data isolés. Ce sont les espèces d’un monde à venir, mieux adaptées que nous aux changements que nous causons. Si l’Homme fut façonné à partir d’argile dans nos mythes civilisationnels, « Fleur Feu » convoque les matériaux et les technologies de notre époque comme éléments pouvant donner la vie.  

Vue d’exposition « Fleur, Feu », Roy Köhnke, Centre d’art contemporain d’Ivry – Le Crédac, 19.01 –  23.03.2025. Photo : Marc Domage.

Tels des préceptes religieux ou les conseils d’un manuel d’opposition, les textes et dessins de Roy Köhnke encadrent cet univers mutant. Sa série Deaf morning series (2024) est une sélection de captures d’écran de courts textes tapuscrits. Au-delà de tout sens narratif, ces mantras abstraits, issue d’un processus d’écriture presque automatique, réverbèrent un état émotionnel, une mise en action subversive et subconsciente de la parole et du ressenti quotidien. Illustrant ce désir de sédition poétique, les dessins de la série No sad star allowed (2017-2024) reprennent une imagerie satirique et transforment l’imagerie de pop culture mondialisée. Si l’on retrouve des personnages inoffensifs tout droit sortis des mondes de la bande dessinée ou de la publicité, survient alors une sucette anthropomorphe au large sourire ambigu en plein acte masturbatoire, des corps grotesques aux langues protubérantes ou un poêle à bois morbide. Ces associations déjouent une normativité du désir. Fissurer ce cadre, c’est laisser place à des alternatives, entre humain·e·sx mais aussi non-humain·e·sx.  

Dans la dernière salle, trois vidéos de la série Magnetic Tendencies (2024) présentent le potentiel de nouvelles formes d’interactions. En collaboration avec les artistes sonores et poèt·e·sx Talita Otović, Low Lov et Sabrina Calvo, ainsi que Guillaume Seyller pour réaliser la 3D, Roy Köhnke met en scène des mutualismes entre espèces, parfois reproductifs, parfois pour des actions collectives. L’ensemble donne à voir des mondes qui semblent inconnus, mais étrangement désirables, où les rapports de pouvoir se pensent à l’horizontale et non plus à la verticale. Ces visions divinatoires n’ont cependant aucune garantie d’être concrétisées. C’est pour cela que Roy Köhnke nous invite à rejoindre cette opposition : une opposition par le désir, par la sensualité et par la multiplicité des corps en symbiose.  

En parallèle, l’exposition « Retour de Marsyas », pensée par la critique d’art Caroline Honorien, prolonge cette réflexion en interrogeant la peau comme interface entre l’histoire, le corps et les nouvelles technologies. À travers une sélection de vidéos des artistes Larry Achiampong, David Blandy, Nina Davies et Bassam Issa Al-Sabah, cet espace explore les métamorphoses corporelles à l’ère du numérique. 

Vue d’exposition « Fleur, Feu », Roy Köhnke, Centre d’art contemporain d’Ivry – Le Crédac, 19.01 –  23.03.2025. Photo : Marc Domage.

Head image : Vue d’exposition « Fleur, Feu », Roy Köhnke, Centre d’art contemporain d’Ivry – Le Crédac, 19.01 –  23.03.2025. Photo : Marc Domage.


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