r e v i e w s

Roberto Cuoghi au Castello di Rivoli

par Patrice Joly

Roberto Cuoghi
Un son assourdissant qui vous cueille dès l’entrée de l’exposition pour ne plus vous lâcher tout au long de la « visite » : le brouhaha monstrueux qui vous assaille et vous étourdit littéralement tranche radicalement avec la quasi béance d’une installation se répétant de salle en salle et dont la description, aussi simple que laconique, pourrait tenir lieu de statement : des sound systems disposés régulièrement, sans apprêt particulier et sans volonté a priori de rejouer une quelconque épopée minimaliste. On suppose que ce sont des préoccupations d’efficacité acoustiques qui ont présidé à la disposition des enceintes formant l’essentiel de ce qui est offert à la vue (surtout à l’ouïe) : de fait, efficacité sonore et absence de signifiance du dispositif se conjuguent pour composer un display minimum avec une absence de « qualités visuelles » notoires. Circulez, il n’y a quasiment rien à voir. Une fois de plus, le travail de Cuoghi nous livre une œuvre désarmante et extraordinairement troublante. Du reste, ce trouble ne provient pas du différentiel entre le coté a-sculptural de cette répétition d’enceintes  (au sens que ces groupements ne sont ni signifiants ni théâtraux, ni même sexy ou au design branché) et l’extraordinaire puissance de feu qui jaillit de ces baffles, il provient juste du déluge sonore qui inonde l’espace et rend presque palpable la présence des instruments et des récitants. Il ne s’agit pas d’une sculpture d’espace sonore version Steve Reich, avec sa litanie de sons planant et ses strates minimalistes renvoyant à leur pendant sculpturaux. Ici ce qui crée le trouble, c’est la quasi incarnation d’un grouillement sonore, organique, qui s’oppose définitivement à l’inertie de ces enceintes « mortes » et sans qualités. C’est aussi le sentiment d’avoir affaire à quelque chose d’inouï, un son venu de nulle part.
Passé le trouble dû à la prégnance de l’installation, reste à décortiquer un principe de fonctionnement à l’œuvre chez l’artiste italien : Cuoghi a déjà travaillé dans le sens d’une « reconstitution » sonore ; les deux pièces, Mbube et Mei Gui témoignaient déjà d’un grand intérêt de la part de l’artiste pour tout ce qui touche à des « tubes » tellement connus que l’on en vient à ignorer leur provenance : avec Mei gui, Cuoghi a reconstitué l’itinéraire accidenté d’une chanson populaire accusée de représenter les éléments décadents de l’occident par la Chine de Mao. La version de Cuoghi à cherché à reproduire l’ambiance cosmopolite du Shangai des années 40 en le faisant jouer par un orchestre russe avec des arrangements américains. Au final on aboutit à une production aux accents typiques de l’Est. Le travail de Cuoghi ne s’est pas appesanti sur les aspects sociaux collatéraux (le sort dramatique réservé aux créateurs de la chanson), il s’est plutôt intéressé à faire ressortir le processus complexe de création d’une chanson « populaire ». Ce sont plus à des considérations de réception auxquels il s’est intéressé, à une espèce de phénoménologie de la mélodie, de la rengaine. Avec Šuillakku, l’artiste italien pousse l’expérimentation à la limite de ce qui est envisageable, allant jusqu’à se replonger dans une atmosphère antique en recréant les ambiances dans lesquelles les auditeurs de ces pièces d’un autre âge les ont perçues. Cuoghi a effectué des recherches sur la vie, les mœurs, les rites des Assyriens, il a recréé des instruments à partir de véritables données archéologiques mêlées à ses propres extrapolations, a composé une musique en s’inspirant d’antiques chants hébraïques (lamentations) ; il s’est immergé dans une autre époque, a ouvert une parenthèse temporelle.
Evidemment, nul ne pourra témoigner de l’authenticité d’une telle reconstitution, qui par définition, est hors d’atteinte. Šuillaku reste dans le domaine de la fiction et le bruit assourdissant, inhumain est partie prenante de cette fiction puisqu’il excède certainement les capacités sonores des instruments de l’époque. Mais la force de cette pièce reste avant tout sa capacité à nous plonger littéralement dans un autre temps, tout en déployant constamment devant nos yeux les preuves de son inauthenticité.

Roberto Cuoghi Šuillakku commissaire Marcella Becaria.
 Castello di Rivoli, Turin, 6 mai  – 27 juillet  2008

Pazuzu

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