MAMC+, Saint-Étienne

Réouverture du musée d’Art moderne et contemporain de Saint-Étienne
9 novembre 2024
Hors format – Collections en chantier
BRAND NEW! Dons récents aux collections
David Meskhi – Our Son, My Moon
Anne Bourse – Nuits
Dix-neuf mois après le début du chantier de rénovation, le musée d’Art moderne et contemporain de Saint-Étienne rouvrait ses portes au public, livrant un édifice totalement repensé pour accéder aux nouvelles mesures de sobriété énergétique, avec une redistribution des espaces qui amène une nouvelle circulation. Le « retour » de la lumière zénithale grâce à la récupération des verrières nous fait redécouvrir la hauteur exceptionnelle des cimaises et la générosité des volumes qui permettent l’accrochage de ces grands formats que possède le musée de Saint-Étienne. Ce dernier détient effectivement une des plus importantes collections d’art moderne et contemporain de l’Hexagone, riche en œuvres d’art américain, allemand et français, en partie constituée par Bernard Ceysson, son ancien directeur, mais aussi grâce à une succession de dons, donations et autres legs de diverses provenances, composant ainsi un corpus de plus de 23 000 œuvres. Trente-sept ans après son ouverture en 1987, le MAMC+ retrouve sa position au sein des musées régionaux à la faveur d’une restauration en douceur qui conserve le fameux carré noir caractéristique de l’enveloppe du musée, qu’avait dessiné en son temps l’architecte stéphanois Didier Guichard. L’exposition d’ouverture, chapeautée par sa directrice Aurélie Voltz, ou plutôt les expositions d’ouverture forment un panachage assumé entre les pépites de la collection, les œuvres anciennes, les nouvelles acquisitions et les monographies des jeunes artistes français et étrangers.

La visite des expositions commence par l’impressionnante « Hors format. Collections en chantier » : curatée par Zoé Marty, elle porte particulièrement bien son nom, ne présentant que des œuvres au format hors norme, que les cimaises du musée, frôlant les huit mètres de haut, accueillent avec gourmandise. La première salle, en réunissant une stupéfiante sélection d’œuvres d’artistes de renommée internationale, dont la plupart ont été acquises à l’époque de Bernard Ceysson, affiche l’ambition d’un musée qui cherchait à se mesurer avec les grandes institutions du nord de l’Europe. Un grand tableau de Frank Stella, Agbatana II, de 1968, qui signe l’émergence du minimalisme et la perte d’influence de l’expressionnisme abstrait, ouvre le bal. Suit une série de figures majeures de la peinture de cette fin de xxe siècle qui fait se côtoyer un Gerhard Richter avec un Bernard Rancillac, un Julian Schnabel avec un Pierre Soulages… Dans la salle suivante, un immense tableau d’Erik Dietman, plutôt rare pour cet artiste qui pratiquait majoritairement la sculpture, fait office de cloison en séparant les deux espaces de la salle. La plupart de ces acquisitions, historiques, ont été faites en résonance avec les grandes expositions monographiques des années 1970 et 1980 et témoignent d’un intérêt marqué pour le néo-expressionnisme allemand, la figuration narrative ou encore le mouvement Supports/Surfaces que l’on a longtemps associé au musée stéphanois. Dans le prolongement de cette série de salles dédiées à l’art du xxe siècle, une section d’œuvres d’art ancien fait état de l’étendue des collections du musée stéphanois qui vont du xve siècle à aujourd’hui : il est à noter l’initiative du musée de montrer les coulisses de ce dernier en pratiquant une ouverture sur les ateliers de restauration qui permettent de voir en temps réel le travail des équipes.
S’il est désormais difficile d’envisager des acquisitions, tel que le tableau de Stella de 1968, le musée n’a pas renoncé à sa politique d’acquisition en direction des artistes contemporains : le stockage de ces nouvelles œuvres ne manquera pas de réactiver un problème récurrent de n’importe quelle institution muséale ; en ce qui concerne le MAMC+, cette thématique fait l’objet d’un projet spécifique visant à agrandir les réserves tout en créant un parcours permanent au sein de celles-ci et des collections ; selon Aurélie Voltz, « l’immense chantier de 2023-2024 est un coup d’envoi pour le Projet scientifique et culturel [PSC] qui pense le MAMC+ de demain ».

La vie d’un grand musée comme celui de Saint-Étienne est rythmée par ses achats, mais aussi par les dons et les legs de ses bienfaiteurs. Alexandre Quoi a assuré le commissariat de « BRAND NEW! », une exposition entièrement composée de ces œuvres qui suggèrent un panorama aussi éclectique que représentatif de la scène contemporaine avec des pièces de Wolfgang Tillmans ou de Hans-Peter Feldmann pour l’international et du duo Pétrel | Roumagnac ou de Guillaume Leblon pour les Français, ce qui ne l’empêche pas de mettre en lumière des artistes moins connus comme Lena Vandrey, Charles-Henri Monvert, Bernard Joubert ou Max Wechsler qui font quasiment l’objet d’expositions solo à l’intérieur du musée.
La visite se termine par l’invitation faite à deux jeunes artistes et les monographies qui leur sont consacrées. Le premier est le Géorgien David Meskhi, dont le travail porte principalement sur les jeunes athlètes à l’entraînement. Né dans la capitale géorgienne, Tbilissi, où il a littéralement grandi dans une salle de sport, son père étant entraîneur de l’équipe nationale de gymnastique, Meskhi, lui-même ancien sportif de haut niveau, a développé une pratique de la photographie au contact de ces athlètes qu’il capture en plein « vol », mais aussi en pleine méditation, avant et après l’effort intense qu’ils viennent de performer. On est frappé par la grâce de ces corps en suspension, flottant dans un espace semblant sans limite, comme s’ils se dérobaient à la gravité. La saturation des couleurs ajoute à l’impression d’irréalité qui se dégage de cette esthétique de légèreté, mais que la saisie de visages pensifs vient troubler en reflétant l’inquiétude d’une jeunesse face à l’avenir incertain de l’ère postsoviétique. Anne Bourse est la seconde invitée de ce parcours très contemporain. En véritable stakhanoviste du coup de crayon, la jeune artiste a investi la dernière salle du musée de ses innombrables crayonnages rose, violet, vert et bleu qui viennent recouvrir indifféremment toute surface susceptible de les accueillir. La résidente lyonnaise a recréé un environnement domestique et onirique rassemblant un logis rudimentaire ainsi que plusieurs meubles-présentoirs qui lui permettent « d’exposer » ses dessins ainsi que d’autres petits objets de sa confection. La compulsivité de la Lyonnaise se conjugue avec un abord aussi raffiné que minimal du design intérieur pour former une fiction intimiste tout à fait probante, nous renvoyant à l’écriture automatique des surréalistes mais aussi à ses grandes aînées, Bridget Riley ou Louise Bourgeois et bien sûr à Emma Kuntz.

Head image : Vue d’exposition « Hors format. Collections en chantier » (au centre Frank Stella, Agbatana II), MAMC+, 2024. © Adagp, Paris. Photo : Aurélien Mole – MAMC+.
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- Du même auteur : Playground, Arcanes, rituels et chimères au FRAC Corsica, 9ᵉ Biennale d'Anglet, Biennale de Lyon, Interview de Camille De Bayser,
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