Prospect 1 + Theanyspacewatever
Quel rapport entre Prospect 1 à la Nouvelle-Orléans et theanyspacewhatever au Guggenheim Museum ? (j’me le demande…)
Faut-il encore s’interroger aujourd’hui sur le format d’une biennale et celui d’une exposition ? Aussi naturelles et inévitables, elles sont au système de l’art ce que les nuages et le soleil sont à la météorologie : des évidences avec assurément quelques variantes et surtout, des réalités physiques qui ne coïncident pas toujours avec leurs prévisions théoriques. Alors, rien de nouveau sous le soleil ? Rapide détour en Louisiane où s’inaugurait Prospect 1, première édition d’une nouvelle biennale organisée par Dan Cameron. Que dire de ce programme bouclé en une année à peine et qui ressemble – sur le papier du moins – à un tour de force ? Prospect 1 réunit les œuvres de 81 artistes (Allora y Calzadilla, Aernout Mik, William Kentridge, Gadha Amer, Isaac Jullien, Candice Breitz, Cao Fei, Monica Bonvicini, Katharina Grosse, Narvin Rawanchaikul…) de 39 pays différents (dont 3 Français, Xavier Veilhan, Pierre & Gilles), présents sur 23 lieux, durant 11 semaines, dans le cadre de la Nouvelle-Orléans, ville marquée par le cataclysme prénommé Katrina. Outre l’intrépide zèle et l’enthousiasme de Dan Cameron pour son projet, outre l’efficacité de sa (très) belle et (trop) discrète commissaire adjointe, Claire Tancons, il fallait mesurer l’ampleur du projet à l’aune de ce contexte éco-politico-géographique si particulier. Car au-delà d’une évidente médiatisation recherchée, les organisateurs ont d’abord cherché à inviter les artistes à produire de nouvelles œuvres en fonction de cette histoire locale récente, pour tenter le dépasser la catastrophe qui, trois ans auparavant, avait inondé subitement 80% de la ville. En août 2005 donc, sous la pression d’un ouragan d’une force inouïe, les digues de sept mètres de hauteur qui protègent la ville lovée contre le Mississipi et construite sous le niveau de la mer, cèdent. C’est le drame (et comme dans les meilleures productions hollywoodiennes, face à l’impuissance du politique, on voit surgir Brad Pitt, qui s’engage dans la reconstruction de maisons écologiques low-cost pour les familles les plus touchées). Dan Cameron, lui, a plutôt un profil à la Kyle McLachlan : il est là pour trouver des solutions et faire vibrer la densité du réel le plus dur avec l’énergie des lendemains. Résultat : Mark Bradford conçoit une « arche » monumentale sur laquelle des centaines d’affiches informent du pouls de la cité ; Miguel Palma met en situation une boule de plomb avec une bande-son entêtante, qui rappelle l’organisation massive de bâtiments détériorés à démolir ; Superflex spécule sur le remboursement d’un prêt immobilier pour un idéal pavillonnaire ; Janine Antoni règle son œuvre sur la régularité d’une lame de fond. Rarement, une biennale n’a présenté un lien aussi évident avec ce phénomène d’échanges et de proximité avec une communauté et une histoire, rejoignant l’idée théorisée par Nicolas Bourriaud selon laquelle l’art « a toujours été relationnel, c’est-à-dire facteur de socialité et fondateur de dialogue » et qu’il « resserre l’espace des relations ». Cette dimension s’incarne encore dans le programme in et off comme l’organisation de funérailles post-mortem de Narvin Kimball, musicien de jazz mort de vieillesse juste après « Katrina » et qui n’avait pas pu, du fait de l’endeuillement général, bénéficié d’une belle commémoration festive, ici performée (pour le in), ou d’une partie off organisée par une riche collectionneuse locale dans un segment de rue et qui ne déméritait pas du programme officiel (s’offrant une installation démesurée de Tony Oursler). Confusément, le projet d’exposition theanyspacewhatever conçu par Nancy Spector au Guggenheim Museum de New York, repose sur les mêmes postulats théoriques à savoir l’idée de présenter un groupe d’artistes, dans le cadre d’un projet collaboratif où le scénario s’écrirait à plusieurs mains pour désigner « l’espace des possibles » et faire en somme l’état de cette « esthétique relationnelle ». À l’œuvre et au cœur du bâtiment de Frank Lloyd Wright : Bulloch, Cattelan, Gillick, Gonzalez-Foerster, Gordon, Höller, Huyghe, Pardo, Parreno, et Tiravanija ont créé un parcours évolutif dont le degré de scénographie semble aller bien au-delà de l’effet relationnel. L’espace des possibles suit ainsi la rampe du Guggenheim en produisant un jeu assez lisse d’interpénétrations, où les œuvres voisinent plus qu’elles ne dialoguent entre elles. Et on assiste à une histoire ascensionnelle menant finalement Pinocchio (Cattelan) au suicide par noyade, alors qu’une chambre high tech (Carsten Höller) l’attendait pour le faire rêver sous la voûte céleste d’Angela Bulloch. Entre le salon de vidéos de Tiravanija, les audiophones de Parreno, les sentences de Gillick et Gordon, le cadre de socialité de theanyspacewhatever se révèle d’ordre privé et individuel (une histoire de soi à soi), renvoyant le visiteur à la relation de « l’idée de la relation », d’où un effet de sécheresse ou de retrait. Sans doute pressé sur le stade de la réalisation de sa pièce, Douglas Gordon fait cette réponse lapidaire (sitôt encadrée) : « I am working on my piece ». Et si theanyspacewhatever, en manquant tellement son objectif de démonstration d’une esthétique relationnelle « communautaire », était en train de formuler une nouvelle étape de cette même esthétique (plus introspective, voire dysfonctionnelle) ? Et si l’exposition résistait à sa propre théorisation en court-circuitant toute tentative de muséographie, l’expérience par essence restant non indexable à une définition, quelle qu’elle soit ?
Prospect 1, à la Nouvelle-Orléans, du 1er novembre 2008 au 18 janvier 2009.
theanyspacewhatever, au Guggenheim Museum, New York, du 24 octobre 2008 au 7 janvier 2009.
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