POINT QUARTZ / Flower of Kent
Villa Arson, Nice, 4.06 –17.09.2017
L’exposition « POINT QUARTZ / Flower of Kent » présentée dans la Salle Carrée de la Villa Arson réunit une impressionnante liste d’artistes allant de Bertrand Lavier à Marvin Gaye Chetwynd, en passant par Natacha Lesueur et Cameron Jamie, preuve s’il en est que la céramique intéresse des artistes de tous horizons. Si une telle diversité de pratiques semble accréditer l’idée que la céramique (contemporaine) fait l’unanimité auprès de ces derniers, peut-on pour autant la considérer à l’égal d’un médium à la fois circonscrit et transversal comme le dessin qui permet d’esquisser et d’anticiper des formes à venir tout en conservant une véritable autonomie ? Par ailleurs, elle représenterait un peu le pendant de ce dernier qui autorise la retouche, le gommage, la reprise lorsque la céramique interdit tout retour en arrière une fois l’argile introduite dans le four. C’est ce point de non retour — les 573 degrés du point quartz — qui donne ce titre énigmatique à l’exposition. Il n’est pas sûr cependant que ce regain d’intérêt relativement récent pour la céramique soit dû uniquement à des motifs purement artistiques relatifs à l’alchimie de la transformation d’une poudre volatile en une sculpture nappée d’un glaçage brillant. Cet engouement pour la céramique venant d’artistes aussi inattendus que Marvin Gaye Chetwynd ou Sterling Ruby doit pouvoir trouver une explication dans la part d’indétermination qui fait qu’avec la céramique l’on n’est jamais totalement certain du résultat puisque les nombreux accidents de cuisson qui émaillent le devenir des céramiques donnent à cette dernière un aspect aventureux, bien que cette part d’indéterminé laisse place à une maîtrise de plus en plus fine des outils et des résultats.
Mais il est clair que la pratique de la céramique représente une production assez considérable d’objets « de salon », hérités de la tradition de la poterie : c’est cette orientation et cette proximité d’avec la dimension artisanale qui a provoqué son rejet pendant de longues années avant qu’elle soit revisitée par une génération d’artistes la considérant du point de vue objectif de ses effets et aussi parce que le crafty a complètement repris du poil de la bête dans un mouvement habituel de reconquête et de réappropriation de ce que l’on avait auparavant rejeté (cf. l’hystérie autour du travail de Sheila Hicks et du textile…). Il semblerait que la coupure soit assez nette entre ceux qui se réclament d’une « tradition » de la poterie qui a connu ses heures de gloire au moment du cubisme avec des artistes comme Picasso ou Gleizes qui se sont emparés de cette technique populaire pour l’investir de leurs motifs et de leur théorie et ces nouveaux adeptes qui ont recours à elle à des fins plus esthétiques, pour ses effets de surface notamment, et qui y ont recours de manière occasionnelle — encore qu’il faille nuancer cette séparation qui de prime abord semble parfaitement établie — ce qui tendrait à faire de la céramique un médium à part entière, tellement ces usages reflètent des positions esthétiques et théoriques aussi éloignées qu’elles peuvent l’être à l’intérieur de la peinture. Certains artistes appartenant sans conteste à la sphère de l’art contemporain en ont une pratique quasi exclusive, tels Johan Creten ou Elsa Sahal. L’œuvre de Creten, par exemple, l’a poussé à créer des fours géants lui permettant d’accueillir des œuvres de plus en plus grandes. Une des données de base de la céramique est qu’elle est limitée par la taille des fours qui déterminent à leur tour la taille finale des objets produits, et il n’est pas interdit de penser que cette donnée participe de l’attrait pour cette dernière : entre l’inattendu du résultat et la contrainte des fours, on comprend que cela puisse motiver des artistes au profil « joueur ». « Flower of Kent » donne un large éventail des possibilités offertes par la céramique contemporaine, et si le display présente par moments un aspect « catalogue des possibles », il est largement compensé par la qualité des œuvres présentes et par le sentiment que les artistes ont éprouvé un réel plaisir à donner libre cours à une explosivité formelle et colorée. Pour des artistes comme Sterling Ruby, par exemple, la céramique s’accorde parfaitement avec des préoccupations en matière de brillance : l’émaillage produit des effets de glaçage étonnamment proches de ceux de la cire fondue que l’artiste angeleno affectionne particulièrement. Pour d’autres comme Pascal Pinaud, le mimétisme avec un sol labouré est particulièrement réussi (On The Way (13A04), 2013) et résonne bien avec les pièces horizontales comme le carrelage morcelé du trio Quentin Euverte, Guillaume Gouerou et Paul Lebras dont il représente un pendant formel : il faut noter également la sensibilité et l’étendue de la culture en la matière du commissaire invité, Frédéric Bauchet, qui dit s’être inspiré d’une rencontre avec l’œuvre de Carl Andre, lui-même amateur de carrelage en faïence, à la Tate Gallery de Londres, pour la réalisation de l’exposition à la Villa. L’exposition rend compte d’une connaissance d’enjeux pour le moins insoupçonnés de certaines pratiques : Frédéric Bauchet parle d’une dimension politique dans le travail de Johan Creten, ce qui évidemment nous éloigne des préoccupations originelles de la céramique qui, a priori, ont plus à voir avec des questions utilitaires et d’ornementation. L’opposition entre le tropisme horizontal de la céramique et la volonté de produire des pièces verticales qui constitue un des enjeux historiques de cette technique est particulièrement bien réussie, notamment avec des pièces comme celle d’Aimé-Jules Dalou qui représente un ratage « réussi » avec une sculpture qui penche et « flanche », lorsque la présence de nombreuse pièces au sol montre toute l’inventivité et parfois la malice des artistes qui se jouent des codes habituels de la céramique (telle cette Composition bleue, jaune et blanche, 2003 de Bertrand Lavier dans laquelle l’artiste, après avoir réalisé une version similaire en parquet, la produit ensuite en céramique, rajoutant un peu plus de mise à distance).
* Avec les œuvres de : Dave Ball, Lyman Frank Baum, Baptiste Carluy, Paul Chazal, Marvin Gaye Chetwynd, Nancy Crater, Johan Creten, Aimé-Jules Dalou, Bernard Dejonghe, Quentin Euverte, Guillaume Gouerou et Paul Lebras, Gladys Clover, Cameron Jamie, Bertrand Lavier, Eun Yeoung Lee, Natacha Lesueur, Pascal Pinaud, Yvonne Roeb, Sterling Ruby et Elsa Sahal.
(Image en une : Vue de l’exposition avec Bertrand Lavier, Composition bleue, jaune et blanche, 2003, grès émaillé, 400 x 300 cm ; Aimé-Jules Dalou, Le Grand paysan, 1898-1899 grès, 195 x 67 x 67 cm, production manufacture de Sèvres et Johan Creten, Les Colonnes révolutionnaires – La source ou les lapins, 2009-2012, grès, émail mat et brillant, lustre or et platine, émail métallisé, fils métalliques, 162 x 30 x 25 cm ; deux lapins : 50 x 13 x 8 cm et 66 x 17 x 10 cm, production Les Rairies. Photo : Loïc Thebaud / Villa Arson Nice, ADAGP.)
- Publié dans le numéro : 83
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- Du même auteur : Arcanes, rituels et chimères au FRAC Corsica, 9ᵉ Biennale d'Anglet, Biennale de Lyon, Interview de Camille De Bayser, The Infinite Woman à la fondation Carmignac,
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