Nashashibi/Skaer à Brétigny
Rosalind Nashashibi / Lucy Skaer
Pygmalion workshop
Jambe de cheval en terre cuite, puzzle en plexiglas de couleur recomposant l’image trouvée sur un plat Attique, motif répété du chasuble du prêtre de la chapelle du Rosaire dessiné par Matisse, images érotiques et antiques, statues de Bali, manuscrits enluminés… Tels sont les éléments disparates de l’installation de Rosalind Nashashibi et Lucy Skaer proposée au Centre d’art de Brétigny et dont une version avait été présentée au printemps dernier à la biennale de Berlin. Pygmalion workshop est une image éclatée composée d’une multitude de vestiges, comme si on venait de retrouver et d’excaver une salle du Metropolitan Museum of Art en 2453, au dégel de New York, après une longue période glaciaire qui aurait fait tomber le musée dans l’oubli, façon Le Jour d’Après.
Agissant comme deux archéologues, le duo d’artistes britanniques rassemble ces éléments muséaux, autant d’images et de signes dans une même œuvre, qui, comme son titre l’indique, se présente sous la forme d’un atelier, une sorte de « work in progress ». Dans Flash in the Metropolitan (2006), tourné en 16 mm, les artistes avaient déjà littéralement mis en lumière des artefacts muséaux. Pour l’exposition de Brétigny, elles complexifient le rapport entre les images en multipliant leurs formes : plexi, céramique, posters, sérigraphies, tentures, sculpture en bois, film.
On se promène donc dans l’installation comme dans une exposition de vestiges, témoins d’une époque perdue, sans comprendre précisément ce que ces éléments peuvent avoir en commun, mais en saisissant bien qu’il s’agit ici non de construire un sens mais de déconstruire une culture : la culture classique occidentale qui a fait du musée le temple de la connaissance. Ainsi les deux artistes se mettent à envisager le musée non comme un instrument de connaissance mais comme une accumulation ornementale de signes, d’images, de motifs. Le Louvre dans les pages de Elle Déco ?
En consacrant une partie de Pygmalion workshop à la Chapelle du Rosaire à Vence, considérée par Matisse comme son chef d’œuvre (il a conçu toute la décoration de la chapelle, allant jusqu’à dessiner les chasubles du prêtre), Nashashibi et Skaer rappellent les différentes fonctions traditionnelles de l’art : religieuse et décorative.
Ainsi, entre archéo et déco, on assiste à Brétigny à une déconstruction pertinente de notre modernité, une mise à plat, un inventaire avant fermeture. A l’image de nombreux artistes de leur génération, le duo semble vouloir revenir une dernière fois sur cette modernité, pour retrouver dans ses ruines les éléments fondateurs de la création artistique contemporaine, comme un retour à la case départ pour gommer une erreur d’aiguillage.
Elles se plaisent à utiliser l’objet non pas comme élément de figuration mais comme signe, dans une perspective que l’on pourrait qualifier de symboliste si le terme ne paraissait pas aussi anachronique. Une sorte de matérialisation en trois dimensions du propos de Matisse en peinture : « Je ne me débarrasserai pas de mon émotion en copiant l’arbre avec exactitude ou en dessinant les feuilles une à une dans le langage courant… mais après m’être identifié à lui. Il me fait créer un objet qui ressemble à l’arbre. Le signe de l’arbre. » Ainsi Skaer et Nashashibi rassemblent des éléments qui créent, par des rapprochements formels et des ébauches de narrations, quelque chose qui pourrait être le signe de la modernité.
Pygmalion workshop reprend un mysticisme des formes que l’on croyait disparu, mais dont la résurgence en ce début de 21ème siècle prend une apparence raisonnable, bon élève. Tout comme, en France dans la même génération d’artistes, Raphaël Zarka ou Isabelle Cornaro, Rosalind Nashashibi et Lucy Skaer inventent un art qui tient de « l’organisation des émotions », ou-comme l’expliquait Jorg Heiser, dans le catalogue d’exposition Romantic Conceptualism-un art conceptuel qui aurait retrouvé sa part d’humanité, voire, ses humanités.
Nashashibi / Skaer, Pygmalion workshop, CAC Brétigny, 21 septembre – 13 décembre 2008
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- Du même auteur : Nina Beier & Marie Jan Lund chez Laura Bartlett,
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