r e v i e w s

Michel Blazy, Le grand restaurant

par Julie Portier

En consacrant à Michel Blazy une exposition monographique qui sera suivie de la publication d’un catalogue raisonné, le Plateau entend renouveler la réception critique d’une œuvre souvent considérée en marge des pures problématiques esthétiques… Peut-être à cause des mouches qui lui tournent autour. L’accrochage que l’on parcourait en file indienne le soir du vernissage – ce qui accentuait la solennité du rituel autant que son aspect « palais du rire » – déroulait les preuves d’une œuvre concentrée sur des recherches formelles. Cela commençait avec le Lâcher d’escargots sur moquette marron, magistrale composition aléatoire où la bave de gastéropode démontrait sa qualité plastique et se poursuivait dans les sculptures de fruits au sirop « activées » par des oiseaux et crabes chorégraphes dans la vidéo The Party. Plus loin, les tableaux abstraits de crème dessert sur bois « grignotés » par des souris sont d’une délicatesse qui ravit l’œil esthète, tandis qu’une architecture composée de tables de jardin reliées par des manches à balai en plastique (Tables auto-nettoyantes) avait tout de la sculpture postmoderne, en plus d’être un habitat idéal pour les fourmis. Quand on l’interroge sur ce qui s’apparente à une stratégie, sinon à un tropisme citationnel, Blazy répond encore par une rhétorique de gastrologue : sa pratique a naturellement « digéré » le minimalisme, l’antiforme, dont les sculptures de peaux d’orange sont désormais une œuvre culte. On retrouve, bien sûr, la leçon de Fluxus avec la participation active du public à l’œuvre, à la survie de son biotope, tout en agrémentant le plaisir esthétique d’une exaltation des papilles dans le Bar à oranges. Même démonstration avec l’installation Circuit fermé qui propose chaque soir de venir manger du carpaccio de bœuf tout en se faisant piquer par des moustiques : là c’est un don du sang au service de l’art. Plus généralement, le processus créatif de Blazy consiste toujours à s’accommoder du hasard mais la relativisation de l’autorité de l’artiste sur son œuvre revendique moins l’ascendance des théories poststructuralistes que l’expérience du jardinage où la nature a le dernier mot.

Revoir l’exposition quelques jours avant sa fin est une manière de passer de la théorie à la pratique, pour mieux y revenir ensuite et juger, précisément là où ça grouille de moucherons et où ça pue le moisi, du raffinement critique de Blazy. Impossible de rester insensible à l’odeur d’irrévérence d’une œuvre qui pourrit littéralement l’espace d’exposition. Aussi le double jeu de l’attirance et de la répulsion programmé dans chaque œuvre de Blazy s’expérimente-t-il également dans la durée de leur exposition, en s’adressant plus directement au rapport à l’art dans une société dont le degré de civilisation s’évalue parallèlement à sa consommation de détergent et de pesticides. En faisant de son exposition un grand compost autarcique, non seulement Blazy relativise sérieusement la valeur de l’œuvre et de tout son appareil théorique – le geste le plus fort étant peut-être d’ériger un plante en sculpture et, qui plus est, une plante morte dans un appartement et régénérée sur le trottoir (Avocat) – mais cette interprétation scatologique d’une histoire de l’art autophage a trouvé là des formes nouvelles, et des formes de vie, le tout composant une prophétie pas si dilettante, et pour une fois enjouée.

 


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