r e v i e w s

Matthieu Clainchard au Triangle à Marseille

par Patrice Joly

Mathieu Clainchard

Le vernissage de l’exposition solo de Mathieu Clainchard, membre fondateur des mythiques Bad Beuys Entertainment, bande d’artistes banlieusards dont on a un peu perdu la trace, coïncidait avec la sortie du catalogue « raisonné » (1) du regretté quatuor de choc. Invité par Dorothée Dupuis, nouvelle directrice et programmatrice de l’association Triangle dans la célèbre Friche la Belle de Mai, à Marseille, le Bagnoletais a conçu son projet sous l’emprise d’une double contrainte, celle d’être son propre metteur en scène tout en étant invité à convier d’autres artistes. L’exercice du curating de son propre travail augmenté d’une sélection de celui des autres se complique ici d’une scission entre deux espaces où dans l’un, on ne trouve que ses œuvres (hormis une pièce à contre courant du génial Lewis Baltz, une capture ultra minimaliste d’un paysage d’armoires métalliques à la McCracken), alors que dans l’autre, elles côtoient une multitude d’invités. Une première salle Mathieu Clainchard donc, remarquablement tendue où s’exprime

Matthieu Clainchard, Peinture de grande hauteur, 2010 ; Sans titre, 2010 ; Broken glass everywhere / People pissing on the stairs, you know they just don't care / I can't take the smell, I can't take the noise no more, 2010 ; Double symétrique, 2010

Matthieu Clainchard, Peinture de grande hauteur, 2010 ; Sans titre, 2010 ; Broken glass everywhere / People pissing on the stairs, you know they just don’t care / I can’t take the smell, I can’t take the noise no more, 2010 ; Double symétrique, 2010

un vocabulaire assumant pleinement un héritage de la revalorisation critique du contexte qui lui fait littéralement coucher les monumentales cimaises du centre d’art les unes sur les autres, aligner une collection de miroirs de brocanteur – allusion à une pièce des BBE, Off the Wall, réflexion sur les halls d’entrée au statut intermédiaire – dresser une palissade composée de bardages anti affichage repeinte aux couleurs improbables des rastas et du conseil général des Bouches-du-Rhône ou encore produire une véritable peinture abstraite en appliquant à la lettre les consignes de sécurité des employés de la ville quant à la hauteur de travail permise par les assurances, répond à un deuxième espace nettement plus diffus.

Le va-et-vient entre les deux espaces entretient une confusion à peu près bien contrôlée où les notions de signature se retrouvent fortement perturbées par des jeux sur la référence et la citation pour le coup totalement maîtrisés : Clainchard fait partie d’une génération imbibée des enjeux de la réappropriation et du reenactment. Toute la deuxième salle peut être considérée comme une réponse à la notion de propriété intellectuelle et de droit d’auteur dont il s’emploie à faire sauter habilement les verrous, non pas qu’il soit un redoutable apologue du piratage mais simplement il remet en question une logique de rente à laquelle il oppose une espèce de left attitude (2): ainsi deux murs sont couverts de gigantesques « Vasarely » qui, à bonne distance ont l’allure de vrais Vasarely mais qui, de près font apparaître les défauts d’un wall painting totalement irrespectueux des exigences picturales du père de l’op art : ou comment échapper à l’ire d’une fondation très sourcilleuse sur le sort de ses royalties. De fait, la pratique de Clainchard cherche avant tout à mettre en évidence les ressorts de l’appropriation comme source de redynamisation de la création, en s’appuyant fortement sur le modèle de la musique rap qui irrigue tout son travail. Ce modèle d’appropriation/réappropriation se voit malicieusement mis en lumière dans une petite salle dédiée au caviardage de graffitis qui réunit une dizaine d’artistes, de Dennis Hopper à Dector et Dupuy. Même s’il ne s’agit pas d’une réappropriation à la Sturtevant, elle focusse sur une pratique qui se nourrit d’un art de rue non autorisé, « réactualisé » par la censure avant d’être à nouveau photographié par des artistes qui lui redonnent un nouveau statut ; c’est cette histoire de renaissances multiples via l’enregistrement de ses divers recouvrements qui fait sens. Cet engouement pour un art de rue non normé rejoint parfaitement les préoccupations d’un artiste attaché à raviver l’éclat d’objets d’emblée pensés comme sans qualités, ce qui peut également s’analyser comme une résistance au contexte. Par ailleurs, il est familier des stratégies de confusion entre espace privé et espace public, de sécurisation de ces entre-deux qui finissent par ne produire que de la vacuité à tous les niveaux mais aussi de celles destinées à économiser et niveller la production du décor urbain : on le sent comme un poisson dans son aquarium Ikea quand il pastiche les fameuses bornes/pots de fleur qui finissent invariablement par trahir leur destin d’empêcheurs de circuler en rond ou encore quand il utilise à loisir cette fameuse couleur chocolat « jamais vraiment sale, jamais vraiment propre, mais toujours moche » ou le fameux crépi à usage universel. Mais l’exercice curatorial pèche un peu au final par une trop grande profusion de pièces qui finissent par brouiller les intentions du curateur artiste quand bien même individuellement elles sont d’une grande qualité : ainsi le côté écran coloré des « étagères » de Liam Gillick est rarement aussi bien mis en œuvre, la pièce de Vincent Ganivet, produite par la récupération d’un établi de menuisier est une vraie petite perle et le Stanley Brouwn d’entrée est simplement magnifique de justesse et d’épurement conceptuel. Dommage que le curateur se soit un peu laissé aller à trop de générosité et à son désir de vouloir tout rassembler.

(1) Outskirting, tel est le titre à peu près intraduisible du catalogue des BBE aux éditions Monografik

(2) Pour faire référence au copyleft, mouvement d’opposition au copyright et prônant une pensée de la création qui ne repose pas uniquement sur le principe de la propriété et du droit d’auteur.

Mathieu Clainchard

Triangle, Friche la Belle de Mai, Marseille

20 avril – 12juin 2010

Avec Fayçal Baghriche, Lewis Baltz, Yves Bélorgey, Stanley Brouwn, Dector & Dupuy, Vincent Ganivet, Liam Gillick, Peter Halley, Dennis Hopper, Colombe Marcasiano, Benjamin Seror, Veit Stratmann, Raphaël Zarka.