r e v i e w s

Le Club du Poisson Lune

par Patrice Joly

Galeries du rez-de-chaussée du CAPC, Bordeaux, 4.11.2021 – 27.03.2022.

Pour son exposition inaugurale au CAPC, Cédric Fauq s’est livré à un travail « d’archéologie curatoriale », en exhumant des atmosphères et des lieux qui ont préfiguré la forme qu’a donnée au musée bordelais son mythique fondateur, Jean-Louis Froment. Le titre de l’exposition, « Le Club du Poisson-Lune », fait ainsi directement référence aux lieux underground dans lesquels ce dernier a fait ses premiers pas et ses premiers essais d’exposition. Le dernier arrivé du musée bordelais a par exemple tenté de reconstituer le décor de la Galerie du Fleuve, autre « proto CAPC », dans lequel le premier directeur du lieu a expérimenté ce qui plus tard allait devenir sa marque de fabrique. C’est donc par une forme d’hommage à l’endroit d’un lointain prédécesseur que commence la carrière bordelaise de Cédric Fauq. Un hommage qui se traduit, entre autres, par l’incorporation dans son exposition d’ouverture d’une pièce de la collection du musée bordelais. L’œuvre de Haim Steinbach, (Capri Suite #4, 1989) qui nous accueille dès l’entrée de l’exposition peut s’analyser comme un paysage marin abstractisé : elle reprend les codes habituels de l’artiste américain, ses fameuses étagères sur lesquelles sont disposés divers éléments empruntant à des univers formels éloignés mais néanmoins fortement évocateurs. Le choix de cette pièce n’est bien sûr pas anodin puisqu’il fait autant référence à la géographie maritime et fluviale de la capitale de l’Aquitaine qu’à la forme générale d’une exposition où les œuvres d’art se mêlent au design et à la scénographie, floutant délibérément la frontière réputée étanche entre ces deux disciplines.

Deborah Bowmann ; Leonard Koren
Vue de l’exposition Le Club du Poisson-Lune – La Scène, Capc Musée d’art contemporain de Bordeaux, 04.11.2021 – 27.03.2022. Commissaire Cédric Fauq. Photo Lola Pertsowsky.

Les deux anciens étudiants de l’école des beaux-arts de Bordeaux réalisent un parcours parfait, ponctués par la présence d’élégants rideaux bleus – ménageant autant d’ambiances différentes – et d’un mobilier très sculptural qui parfois assume sa dimension utilitaire, parfois l’abandonne. L’invitation faite à ces ex Bordelais n’est pas isolée, elle structure une proposition qui fait la part belle aux artistes du cru. Sans toutefois tomber dans un localisme complaisant, elle renvoie plutôt à l’effervescence (retrouvée ?) de la scène locale. Le curateur a largement fait appel par ailleurs à une scène française étendue, témoignant par là même d’une vitalité qui s’appuie sur un réseau d’ateliers autogérés et de run spaces dynamiques. Les artistes étrangers n’ont pas été oubliés pour autant, ils se partagent l’espace à part égale avec les « Frenchies ». L’exposition, divisée en quatre parties, ne consiste pas en une reconstitution des lieux de l’époque, mais plutôt en une revisitation – prétexte à convoquer une scène très actuelle.

Dans l’entrée du salon qui succède au vestibule, nous accueille le lapin géant de Kevin Desbouis, readymade détourné de sa fonction promotionnelle, tandis qu’au mur, la gouache rehaussée de Kinki Kooi figure une atmosphère de luxuriance ouatée, s’opposant à la radicalité picturale d’Emma Rssx. Au mur encore, suspendues à un porte-manteaux, les improbables tenues d’astronautes du duo Angélique Aubrit et Ludovic Beillard (Je n’entends plus aucune voix, 2021) que l’on retrouve plus loin dans une vidéo où les deux artistes surjouent la difficulté de se déplacer dans l’espace, lestés d’encombrants sabots de bois qui alourdissent leurs mouvements. Comme dans tout intérieur bourgeois qui se respecte, un salon de lecture – bien entendu designé par le duo Deborah Bowman – offre aux visiteurs la possibilité de se plonger dans la littérature des cent dernières années, à raison d’un ouvrage par année – un choix particulièrement intéressant qui remet en mémoire des titres, pour beaucoup oubliés, qui ont scandé le siècle. Tout intérieur néo bourgeois se doit également de disposer d’un écran : sur celui du « Club du Poisson-Lune » tourne en boucle la vidéo de la jeune artiste bordelaise Maurane-Amel Arbouz (Les Amours Jaunes, 2021), tragi-comédie gothique et bling-bling qui reprend l’ambiance des teen movies.


Carla Adra ; Angélique Aubrit & Ludovic Beillard ; Aurilian ; Deborah Bowmann ; Hugo Brillet ; Esther Gatón ; James Lewis ; Gina Pane ; Claudia Pagès.
Vue de l’exposition Le Club du Poisson-Lune – La Scène, Capc Musée d’art contemporain de Bordeaux, 04.11.2021 – 27.03.2022. Commissaire Cédric Fauq. Photo Arthur Péquin

Passons à « La Scène », autre partition spatiale de l’exposition qui met spécialement en valeur le fauteuil de James Lewis (Dust Slug II, 2021), recouvert d’une couche de plâtre sur laquelle sont disposés des verres de whisky, évocation de l’univers cabaretier. La scénographie, ici encore, est particulièrement inspirée, qui délimite des niches dans l’emmarchement de l’estrade, dans lesquelles sont disposés deux écrans sur lesquels sont diffusées des vidéos : l’une des « astronautes » précédemment cités, l’autre un film d’archive de Gina Pane performant dans la galerie du Fleuve (Hommage à un jeune drogué mort, 1971). Le dernier espace, « Le Fumoir », réunit une flopée d’artistes dans une ambiance pour le moins éclectique où l’on peine à trouver des affinités entre les caissons de Maxime Bichon (Peinture grecque VII, 2021) – délestés des marteaux de secours qui auparavant rendaient leur fonction évidente, ils deviennent des œuvres minimalistes et énigmatiques –, les pistaches vernies de Samuel Nicolle – qui font penser à des ongles vernis – ou encore les chaudes ambiances des tableaux de Thiên Ngoc Ngô-Rioufol. « Le Club du Poisson de Lune » est une exposition généreuse et enjouée en forme de manifeste pour les saisons à venir. Cette générosité englobe l’espace, au risque parfois de nous faire passer à côté de propositions discrètes, comme celles des lampes de Camille Brée, des slogans féministes et subtilement subversifs d’Elize Charcosset qui se déploient sur la tapisserie du vestibule ou encore des boîtes de Carla Adra qui dissimulent en leur sein des missives jamais envoyées, confidentielle contribution de la jeune artiste parisienne à la dimension poétique de l’exposition.

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Image en une : Angélique Aubrit & Ludovic Beillard ; Deborah Bowmann ; Camille Brée ; Kevin Desbouis ; Emma Rssx ; Nikhil Vettukatil.
Vue de l’exposition Le Club du Poisson-Lune – Le Salon, Capc Musée d’art contemporain de Bordeaux, 04.11.2021 – 27.03.2022. Commissaire Cédric Fauq. Photo Arthur Péquin


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