r e v i e w s

Lars Fredrikson

par Patrice Joly

MAMAC, Nice, 16.11.2019 – 22.03.2020, en collaboration avec le NMNM.

Le MAMAC, musée d’art contemporain de Nice, poursuit son exploration des personnalités singulières de l’art contemporain qui ont marqué d’une empreinte forte la scène de leur époque, non seulement par la poursuite ou l’exténuation d’une forme ou d’un médium mais, au delà, par la création de nouvelles fonctionnalités ou de nouvelles définitions, comme ce fut déjà le cas avec Gustav Metzger1 et son approche résolument avant-gardiste d’un art écologique sans concessions. Un profil hors-norme que l’on retrouve à nouveau ici avec Lars Fredrikson, pionnier de l’art sonore en France et bricoleur de génie qui a poussé à l’extrême les expérimentations d’un médium qui se nourrit des dernières avancées technologiques pour mieux les détourner. L’exposition propose un parcours non linéaire à travers une pratique foisonnante qui continue de générer de fortes résonances dans les travaux les plus contemporains.

Est-ce sa formation complètement atypique de chimiste puis d’officier radio dans la marine marchande qui explique cet itinéraire artistique hors du commun ? Lars Fredrikson débarque dans le sud de la France en 1963, il crée et dirige de 1971 à 1991 le premier atelier «Son et recherches électro-acoustiques et visuelles» à la Villa Arson. Nul doute que son expérience dans le domaine de la radio a profondément influencé une pratique qui diffère résolument de l’art de ses contemporains, l’art sonore n’étant alors qu’à ses balbutiements dans la France des années 60. L’exposition niçoise montre le parcours d’un touche à tout, curieux des mouvements de son époque sans pour autant qu’il s’affilie complètement à l’un d’eux : il alimente par exemple de manière très personnelle le courant de l’art cinétique pour au final s’en éloigner assez rapidement, s’estimant « trop humain pour être cinétique2». Fredrikson revient alors de plus belle à ses expérimentations sonores qu’il développera tout au long de son passage à la Villa Arson puis dans sa maison de Vevouil qui lui sert de refuge et d’atelier. À travers le parcours proposé, on a le sentiment d’avoir affaire à un artiste qui saute d’un médium à l’autre, de l’électromécanique à l’art électronique, de la peinture à la sculpture, puis aux expérimentations sonores qu’il n’aura cesse de pousser dans leurs retranchements, à l’instar de celles diffusées dans la chambre d’isolation créée spécialement pour l’occasion.


Toutes les images : Lars Fredrikson, Inox et Mobiles, 1969. Acier inoxydable plié, mobiles en aluminium, 101 × 172 × 49 cm. Achat en 1969, Musée d’art moderne de la ville de Paris.
Photo : François Fernandez. © Lars Fredrikson Estate

« Ce qui relie ses travaux, nous explique Rebecca François, curatrice de l’exposition avec Hélène Guénin, c’est la recherche de l’appréhension de l’espace comme cosa mentale », décrivant « un artiste qui tente de capter les frontières entre le visible et l’invisible, la présence et l’absence, le dedans / le dehors, s’intéresse à leur interaction. » De fait on saisit mieux le cheminement d’une exposition chronologique qui débute par des toiles blanches animées de mouvements rotatifs invisibles (Structures dynamiques, 1967-1968) et se poursuit par une succession de flashs électroluminescents à la surface d’un moniteur pour passer dans une salle dédiée aux gravures qui rend compte d’une production massive de même que d’une prédilection pour le papier argenté (à la fois symbole de modernité et d’infini). L’artiste s’est également adonné à la peinture et surtout à l’aquarelle, visiblement influencé par la calligraphie chinoise et sa délimitation des vides. Il multiplie les collaborations avec les poètes comme en témoignent les nombreuses éditions présentées où son intervention consiste plus en incises, rayures et autres découpes millimétrées qu’en illustrations classiques. Suit « la salle des reliefs » où l’on note que l’artiste se démarque nettement d’un art cinétique ambiant qui a tendance à se laisser hypnotiser par la joliesse des effets : ce qui frappe chez Fredrikson, c’est l’emploi récurrent de plaques d’acier inoxydable que l’artiste déforme, découpe, tord, bombe ou incurve, jouant des capacités du métal à affecter les repères spatiaux. Avec la pièce Inox et mobiles, (vers 1969), le métal poli agit comme un miroir déformant : le mobile, placé en avant de la plaque, disparaît littéralement pour se fondre avec la silhouette floutée du spectateur, invitant ce dernier à participer du mouvement même de l’œuvre. On progresse dans ce dédale raisonné que constitue l’exposition pour s’immerger bientôt dans la « cuisine » intime de l’artiste. La reconstitution de l’atelier de Vevouil3 où l’artiste réalisait ses pièces et brevetait ses inventions dans un brouhaha de consoles et de magnétos à bandes nous confirme que ce dernier était un bidouilleur de génie, à la recherche des dernières innovations en matière de télécommunications pour mieux détourner leur usage à des fins purement expérimentales : la salle des fax, notamment, montre toute l’ingéniosité d’un artiste sachant exploiter ad libitum le potentiel graphique insoupçonné de cet outil, et l’on peine à imaginer ce qu’il aurait pu produire à l’époque d’internet. Nous quittons l’univers de Fredrikson sur une ultime création sonore qui enveloppe nos pas jusqu’à la sortie du musée, reconstitution d’une œuvre réalisée pour une galerie associative de Nice (La Caisse, 1978) qui résume de manière poétique l’ambition de l’artiste de « restituer le son de la peinture » en diffusant le son d’un pinceau sur une toile et de réunir deux principes a priori irréconciliables, celui de l’art et celui de l’infini vibratoire qui nous entoure de toute part.

1 cf https://www.zerodeux.fr/news/gustav-metzger/

2 catalogue de l’exposition Lars Fredrikson, texte de Rebecca François, p44

3 aujourd’hui conservé par le Centre Pompidou.

Image en une : Lars Fredrikson, Inox et Mobiles, 1969. Acier inoxydable plié, mobiles en aluminium, Stephan Balkenhol, Relief, tête femme (beige), détail, 2010. 101 × 172 × 49 cm. Achat en 1969, Musée d’art moderne de la ville de Paris (MAMVP).


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