Gustav Metzger au Musée de Rochechouart
Gustav Metzger à Rochechouart
Le musée d’art contemporain de Rochechouart s’est livré à la tâche difficile de monter la première rétrospective 1 d’un artiste qui ne se prête guère à ce genre d’exercice. La pratique de Gustav Metzger, placée sous le signe de la destruction, laisse peu de place à l’amoncellement d’objets car elle est surtout composée d’œuvres éphémères, de performances, de work in progress mais aussi de prises de positions et de manifestes qui font tout autant œuvre qu’une recension ordinaire d’objets. La vingtaine d’œuvres exposées à Rochechouart réussit cependant à retracer un itinéraire singulier dont l’absence totale de concession ne laisse d’impressionner.
Visionnaire, prophète, précurseur : les qualificatifs laudateurs abondent pour désigner un artiste qui s’est intéressé un peu avant tout le monde à des sujets désormais incontournables. En 1972, à Sharja, lors de la première réunion de chefs d’état destinée à attirer l’attention de ces derniers sur l’avenir de la planète, Metzger réalise une pièce constituée d’une centaine de voitures déversant leurs gaz d’échappement à l’intérieur d’un immense chapiteau : cette installation monumentale et inutilement polluante voulait attirer
l’attention sur l’absurdité de nos comportements. Bien avant Kyoto et Copenhague, cette œuvre témoigne d’une rare sensibilité écologique et 40 ans plus tard, elle n’a rien perdu de sa force et de sa pertinence, bien au contraire. Né dans les années 20 à Nuremberg, juif d’origine, Metzger a très vite été confronté à la dimension apocalyptique d’un siècle qui a marqué sa jeunesse et dévasté sa famille : ses parents disparaissent dans les camps de la mort et lui-même échappe de justesse à la déportation. Au sortir de la guerre il se dirige rapidement vers une carrière d’artiste après avoir un moment reçu une formation d’artisan. Suite à une courte expérience en tant que peintre il délaisse rapidement cette pratique pour affirmer très précocement sa préférence pour un art qui se détourne de la production d’objets. En 1959, il signe son manifeste pour un art “auto-destructif ”, brûlot provocateur en réponse à ce qu’il considère être la destinée première de l’humanité, à savoir sa dimension profondément auto-destructrice. Dans ce manifeste se mêlent des considérations sur la capacité du modèle capitaliste à accélérer le processus de désintégration de la planète via une surconsommation de ses ressources et le développement inconsidéré de l’arme nucléaire. Nous sommes en 1959, en pleine guerre froide mais aussi en plein triomphe de l’american way of life un peu partout à l’Ouest : rares sont les voix du côté des artistes pour opposer à cette phase d’euphorie de développement une parole qui ne soit pas complètement sous l’emprise du marxisme orthodoxe pour affirmer une pensée écologiste très peu développée à l’époque.
L’exposition présente de nombreuses archives qui permettent de se faire une idée de l’importance et de l’influence de l’artiste sur ses contemporains ; elle alterne des films de ses performances célèbres – comme celle dans laquelle il badigeonne au pinceau une toile de nylon avec de l’acide : celle-ci déployée comme un écran devant la Tamise se dissout progressivement, faisant apparaître peu à peu la ville, comme une révélation de la réalité par l’anéantissement du dispositif – avec des pièces plus récentes où cet acharnement à faire disparaître la matière même de l’œuvre se transforme en une tentative pour faire disparaitre les supports, le plus souvent des photos, tour à tour voilées par des étoffes, de la peinture, ou même un mur de parpaings (Photographies Historiques)… Mais la rétrospective laisse une large part à des pièces réactivées pour l’occasion comme les décors qu’il avait réalisés à l’époque pour les groupes de la mouvance psychédélique, Cream, The Who, qui nous replongent dans des atmosphères hypnotiques. D’autres pièces encore, montrent que l’artiste est toujours en phase avec son époque et qu’il est nécessaire de se constituer ses propres archives à travers le décryptage de l’information : cet intérêt jamais démenti pour les journaux a pris la forme d’une collecte au jour le jour des quotidiens et de leur traitement qui nécessite une part active du public. Pour Rochechouart, il réitère ce work in progress qu’il réalise pour la première fois en 1962 à la galerie One de Londres. D’autres pièces, peut-être plus spectaculaires comme celle d’une voiture vandalisée lors d’une manifestation complètent un panorama plutôt exhaustif des préoccupations formelles de l’artiste. Pour finir, Flailing Tree, se présente comme un “arbre à l’envers” : les racines vers le haut et le feuillage en bas pris dans un bloc de béton : il possède la beauté mélancolique d’un monde upside down, accablé par une humanité indécrottablement destructrice, qui encore et toujours sacrifie le vivant…
Gustav Metzger, Décennies : 1959-2009, du 1er mars au 15 juin au Musée départemental d’art contemporain de Rochechouart.
1 : cette première rétrospective en France de Gustave Metzger a été réalisée en collaboration avec l’artiste et la Serpentine Gallery de Londres.
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- Du même auteur : Interview de Camille De Bayser, The Infinite Woman à la fondation Carmignac, Anozero' 24, Biennale de Coimbra, Signes et objets. Pop art de la Collection Guggenheim au Musée Guggenheim, Bilbao, Nina Beier au Capc - Musée d’art contemporain de Bordeaux,
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