Guillaume Pinard, Du fennec au Sahara
Chapelle du Genêteil, Château-Gontier, du 19 septembre au 15 novembre 2015
Par Julien Zerbone
On connaissait la passion dévorante de Guillaume Pinard pour le dessin, le fusain, pour l’animation. En digne héritier de Asger Jorn et de la démarche expérimentale, il investit avec la même ardeur frénétique le champ de la peinture et la chapelle du Genêteil, à Château-Gontier. Du titre de l’exposition « Du fennec au Sahara », on ne tirera pas de grands enseignements, si ce n’est l’ironie qu’il recèle vis-à-vis de cette tendance à proposer des expositions parcours dont la conception est marquée par une vision téléologique de l’histoire de l’art qui hérisse manifestement Guillaume Pinard. Ici, l’intervalle du fennec au Sahara est plutôt mise à profit pour s’adonner au plaisir de la dérive et de l’interprétation.
Dès l’entrée, le regard est happé par un monumental feu de bois peint dans le fond de la chapelle. De part et d’autre, on hésite à voir dans les deux curieuses cimaises lambrissées un écho au très beau plafond en coque de bateau renversée de la chapelle, ou un hommage sarcastique aux cuisines équipées des années quatre-vingt, hommage complété par les tomettes au sol et parachevé par deux ensembles de meubles – guéridons, desserte, porte-manteaux – faux rustiques. Là trônent des sculptures et objets ready-made recouverts de membranes de papier peint de couleurs vives, comme des motifs picturaux échappés de leur cadre. L’ensemble, chaleureux quoique d’un goût douteux, installe le spectateur dans une atmosphère burlesque à laquelle contribuent largement les toiles qu’il découvre aux murs et sur les cimaises. Guillaume Pinard présente une sélection de peintures réalisées depuis 2014, dont une quarantaine de toiles l’ont été pour l’exposition, des petits formats qu’il peint dans l’urgence, palliant son manque de technique par la quantité, jouant les copistes avec la jubilation de celui qui découvre un nouveau hobby. Tartine, vache, renard, maison, chemin, fleur, voiture, sexe, étron tigré, naïades à têtes de canard, veste, fesses, personnages à la Peter Saul et baigneuses à la Cézanne, l’inventaire des toiles qui s’étalent sous les yeux des spectateurs donne le vertige mais laisse entrevoir des affinités électives. Une grammaire complexe régit en effet les agencements de Guillaume Pinard : récurrences, effets de montage produits par la contiguïté de certaines toiles, jeux de correspondances et d’échelles, agrandissement de certains motifs jusqu’à des dimensions monumentales, déclinaison d’élements de toile en toile invitent à des rapprochements. On pense à la remarque de Barthes sur Arcimboldo, « sa peinture a un fond langagier, son imagination est proprement poétique : elle ne crée pas les signes, elle les combine, les permute, les dévoie – ce que fait exactement l’ouvrier de la langue1 » : métaphore, comparaison, anaphore, on est tenté de décrire les procédés de l’artiste en termes de figures de style, de considérer l’ensemble comme un vaste rébus aux multiples pistes de lecture.
Loin cependant de n’être qu’un jeu rhétorique, les expériences de Guillaume Pinard prennent place dans une recherche au long cours qui touche aux questions de la représentation, à son histoire, à ses mystères, recherche qu’il prolonge dans ses écrits et sur son blog2. « Si la réalité est opaque, écrit Carlo Ginzburg, des zones privilégiées existent — traces, indices — qui permettent de la déchiffrer3 » : c’est à cette même démarche de déchiffrement et d’enquête que se prête l’artiste au gré de ses projets. Parmi les nombreuses pistes, on suivra celle de cet étrange homme barbu dont il multiplie les portraits et qui présente les traits des vieillards des tympans romans, faisant l’effet d’une copie maladroite du voile de Véronique (de vera ikon, « image vraie »), image miraculeuse du visage du Christ dont on a vu fleurir des exemplaires dans l’Europe médiévale. Pinard reprend et développe ici une série entamée à Quimper, au centre d’art du Quartier, les métamorphoses de Yan’ Dargent, peintre et illustrateur breton qui se vit confier la décoration intérieure de la cathédrale Saint Corentin et qui défraya la chronique à titre posthume lorsque l’on découvrit que son cadavre embaumé avait été décapité pour que sa tête puisse rejoindre celles de ses parents dans l’ossuaire de sa ville natale. Entre ex-voto — c’est le nom que l’on donnait aux mauvaises peintures religieuses — et autoportrait, entre exposition et ossuaire, entre relique et icône, Guillaume Pinard poursuit là une méditation pleine d’humour sur les chemins inattendus de l’image.
- Roland Barthes, Arcimboldo, Franco Maria Ricci, Paris, 1978, p. 35.
- http://unartsansdestinataire.blogspot.fr
- Carlo Ginzburg, Mythes, emblèmes, traces ; morphologie et histoire, Paris, Flammarion, 1989, p.177.
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