Garush Melkonyan, Cries from Earth
La science-fiction s’est souvent préoccupée de l’existence de peuples extraterrestres. Les rencontres entre les humains et ces derniers se terminent souvent mal : pensez à Alien1, à Prometheus2, où les humains se retrouvent être la proie de monstres belliqueux ou de géants indifférents à la survie de vieillards en fin de vie. Cela témoigne d’une peur ancestrale vis-à-vis d’un inconnu qui nous dépasse et de puissances incomparables avec celles dont nous sommes plus coutumiers sur notre planète et dont nous maitrisons a priori les dangers d’une confrontation. La plupart des scénarios du genre fait d’ailleurs preuve d’une grande naïveté à cet égard : que ce soit la Guerre des Mondes de HG Wells, adapté au cinéma de manière proprement sidérale par Steven Spielberg, ou Premier contact de Denis Villeneuve, dans lequel les humains cherchent à communiquer avec les aliens (en même temps qu’ils cherchent à les liquider !), qui pourrait encore croire que des petits bonhommes verts venus de l’espace se laisseraient prendre aux manœuvres prévisibles des bipèdes et ne sauraient se prémunir contre de si terrestres virus ? Dans Premier contact, les aliens se font berner par des militaires (forcément), qui leur font un cadeau pour le moins explosif.
Il est plus rare que les auteurs de science-fiction imaginent d’autres types de rencontres, qui ne se soldent pas en affrontements musclés avec les représentants de ces races avancées. Certains scénarios envisagent des contacts tout à fait inédits avec des espèces dont l’intelligence ne se laisse pas deviner d’emblée : dans la magnifique nouvelle d’Ursula le Guin, Plus vaste qu’un empire3, c’est la planète entière qui apparaît hostile à la présence des hommes. Littéralement recouverte d’une forêt qui ne semble pas connaître d’interstices, « elle » fait sentir à ces explorateurs qu’ils ne sont pas les bienvenus, comme si elle pressentait la probabilité d’une dévastation de sa flore, chose dont l’espèce humaine est coutumière. Le même type de réaction ou presque apparaît dans Solaris de Stanislas Lem : cette fois-ci, la planète, anticipant la menace que représente l’arrivée de cette espèce ravageuse (nous), s’introduit dans les pensées du commandant du vaisseau afin d’amplifier sa mélancolie et de le rendre inoffensif. Ces deux scénarios ne sauraient laisser indifférent Garush Melkonyan : dans le film qu’il a réalisé avec le soutien de Mondes Nouveaux, le jeune plasticien a lui aussi imaginé la venue d’extra-terrestres sur notre planète, dont nous sommes censés attendre un choc civilisationnel… qui n’arrivera pas. En effet, Melkonyan s’est projeté dans un avenir relativement proche, où les Terriens ont disparu de la surface de la planète bleue. La fiction post-apocalyptique laisse supposer que le drame sans cesse annoncé a finalement eu lieu, qu’à force de jouer avec les menaces d’embrasement nucléaire, de ne pas prendre au sérieux les préconisations du GIEC, de continuer à exploiter les énergies fossiles, à remplir les océans de micro plastique, à foncer tête baissée contre le mur d’une réalité pourtant transparente, ce qui devait arriver a fini par arriver : la sixième extinction s’est aussi occupée de débarrasser la planète de son principal prédateur, l’humain.
Lorsque, en 1977, Voyager 1 et 2 prennent leur envol pour explorer les confins du système solaire et, même, outrepasser ses limites, les sondes emportent dans leurs bagages un disque de datas appelé le « Golden Record », qui détient nombre d’informations sur notre planète et en particulier sur l’espèce humaine : ses habitants, leurs inventions, leurs cultures, de la musique, des œuvres marquantes, etc., ainsi que la localisation de la Terre dans la galaxie. Ces informations ont été formulées par Carl Sagan, le célèbre astrophysicien et auteur à succès, assisté d’une équipe de la NASA. Ce disque a été pensé dans l’hypothèse d’une rencontre avec des extra-terrestres, afin de leur donner des renseignements sur notre planète et porter un message d’amitié – tout en doutant fortement de la probabilité d’une véritable rencontre avec les races extra-stellaires. C’est pourtant de cette dernière que part le projet de Garush Melkonyan : pour le natif d’Abovian, ville proche de la capitale arménienne Yerevan, le Golden Record est le point de départ d’une fiction qui revient sur les tenants et aboutissants d’un événement qui a concerné l’Arménie tout particulièrement, puisque c’est à l’observatoire de Byurakan que le même Carl Sagan est venu en 1971 présenter « The First International Conference on Extraterrestrial Civilizations and Problems of Contact with Them ».
Fortement dégradé suite à l’effondrement de l’URSS, le complexe du télescope radio-optique de Paris Herouni devait devenir un haut lieu de la recherche spatiale. Il a servi entre temps à abriter des réfugiés arméniens tout en devenant un terrain d’expérimentations sur les énergies solaires afin de tenter de résoudre la crise énergétique de cette période, que les Arméniens ont surnommée « les années sombres et froides ». De fait, ce site, sur lequel une partie du tournage a été réalisée, revêt une importance particulière en tant que témoin des nombreuses crises qui ont émaillé l’histoire de l’Arménie depuis les années 1970 mais aussi comme archive d’un passé plein d’espérances qu’il n’a pas vues se réaliser. Cette « capsule temporelle », comme la décrit le jeune artiste, est au cœur de cette dramaturgie historique qui a récemment subi un sursaut avec les attaques de l’Azerbaïdjan, risquant de compromettre le tournage même du film.
Situé non loin du Mont Ararat qui, selon le récit biblique, serait le lieu d’amerrissage de l’arche de Noé, le site de cet ancien radio télescope convoque un riche imaginaire : celui de la renaissance de l’humanité. Il se télescope avec la fiction de Melkonyan, qui envisage plutôt une fin tragique pour l’espèce humaine. Cries from Earth renoue avec les grandes thématiques de la science-fiction des années 1960, tout en les remixant avec une actualité où les questions d’écologie et de préservation du vivant ont pris le dessus sur la dimension épique de la conquête de l’espace. Le Golden Record a été pensé à une époque qui ne doutait pas des avancées scientifiques comme solution à tous les maux de l’humanité. À cinquante années de distance, il faut bien se résoudre à l’évidence : la prophétie ne s’est pas réalisée.
Le film s’attache également à remettre en lumière les paysages grandioses et le riche passé cinématographique d’un pays que l’on a tendance à ne plus voir aujourd’hui qu’à travers le filtre de ses démêlés récurrents avec l’Azerbaïdjan voisin. Au-delà de l’aspect critique d’une vision positiviste de la civilisation, représentée par le Golden Record, le projet de Melkonyan s’ingénie à convoquer les formes du mouvement au cinéma, via l’invitation faite à la danseuse et chorégraphe Toma Aydinyan entre autres. La problématique de la traduction filmique du mouvement prend ici une importance particulière à cause du thème central du film – la question extra-terrestre – et les innombrables « témoignages » d’extrême vélocité des supposés vaisseaux aliens. La récente déclassification par l’armée US de « vidéos d’ovnis » a inspiré le chef-opérateur Victor Zébo en donnant lieu à des expérimentations poussées afin de « produire des images qui ne répondent pas aux critères d’objectivité habituels, pour créer un effet d’étrangeté visuelle face aux personnages d’extra-terrestres. »
1 Alien de Ridley Scott est sorti en 1979.
2 Prometheus du même Ridley Scot est sorti en 2012.
3 Vaster than empire and more slow, d’Ursula le Guin.
Head Image : Tournage de Cries from Earth de Garush Melkonyan, Arménie, octobre 2022.
Photo : Robert Poghosyan
- Publié dans le numéro : 102
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- Du même auteur : Modern Love au musée d'art contemporain d'Athènes, L’Île intérieure à la Villa Carmignac , Interview Anne Bonnin, Hamish Fulton, A Walking Artist, au Frac Sud , Augustin Maurs, The Music chamber à Artgenève,
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