Film as sculpture
WIELS, Bruxelles, du 7 juin au 18 août 2013 *
L’exposition « Film as Sculpture » pointe une question importante en ce début de XXIe siècle : comment le cinéma peut-il encore « faire problème » ?
Ce n’est pas tant la question du cinéma exposé mais du dépassement de la notion de médium comme support qui se joue ici. La problématique soulevée par la curatrice Elena Filipovic est celle du cinéma et de la sculpture. Si la question du cinéma au musée a déjà été abordée — notamment par des expositions telles que « Art and Film Since 1945 » (Los Angeles, MoCA, 1996) ; « Fora ! », un dialogue entre le sculpteur Rui Chafes et le cinéaste Pedro Costa organisé par Catherine David à la Fondation Serralves, ou, plus récemment, « Le mouvement des images » de Philippe-Alain Michaud au MNAM Centre Pompidou, 2006 — considérer le cinéma et la sculpture non plus comme des pratiques liées strictement à des supports techniques mais en tant que moyens d’expression : voilà l’enjeu. Il en va d’un constat : le dépassement par les artistes de l’ontologie moderniste liant cinéma et photographie (depuis Bazin) et la maturité du projet moderne. Ainsi le cinématographique s’ouvre aux questions de la sculpture, permettant de considérer à nouveau la modernité comme projet inachevé ; on peut penser la question de l’image-mouvement et de sa projection pour moduler l’espace depuis Moholy-Nagy (1922-1930).
Ici, le médium conserve une base matérielle (lumière, mouvement, son) et des caractéristiques esthétiques (il est éphémère, fugitif, contingent) mais devient un vecteur au-delà de l’automatisme de ce qui définirait les disciplines. « Film as Sculpture » permet de faire l’expérience du statique et du dynamique dans une perspective post-médium ; les onze artistes de l’exposition sont parmi les plus représentatifs de cette approche. Tout commence par le ruban magnétique flottant de Zilvinas Kempinas (02, 2006) activé par la soufflerie d’un ventilateur. Suivent des installations spatiales aux modes opératoires variés, convoquant la pesanteur, la gravité, le socle, le rapport au volume dans l’espace, autant de questions ayant trait à la sculpture. Remarquons le subtil dispositif que Zbynêk Baladràn et Jiri Kovanda réalisent ensemble (The Nervous System, 2011) : des pellicules noir et blanc tracent un labyrinthe suspendu au niveau du regard ; elles sont suspendues par un système de poids utilisant deux objets ordinaires que sont un cactus en pot et une couette roulée en boule. Ici le support filmique est utilisé comme page : on lit un scénarimage à l’horizontale. Comme pour la plupart des œuvres, c’est le spectateur, en se déplaçant, qui impulse le mouvement.
La rupture narrative est à nouveau présente dans Cowfish (2011) de João Maria Gusmão & Pedro Paiva. Le dispositif, récurrent chez ces artistes, allie projections alternées en 8 mm et 16mm et socles ou estrades gris. Ralenti, gros plan, superpositions, cuts… alternent pour composer un environnement immersif et une vision merveilleuse d’éléments vernaculaires, comme un poisson vivant sur une assiette ou des œufs en train de frire. Le positionnement de la caméra sur un socle ou le projecteur présenté comme objet en soi sont récurrents dans l’exposition, tendant vers un mode de perception sculptural. Pour sa part, Rachel Harrison réunit des éléments issus de la culture populaire américaine « vue à la télévision », c’est-à-dire des indices de ce qui filtre de celle-ci dans l’imaginaire de masse ; T-shirt XXXL, rodéo, poupées Barbie, forment une boucle autoréférentielle. WWE (2013) combine un vidéoprojecteur posé sur un chariot du type de ceux utilisés dans les écoles pour supporter le matériel éducatif, et AA (2010) , des bigoudis, du chewing-gum et des bouchons d’oreilles et une vidéo (American Apparel, 2009). Sur un autre chariot, un diable soutient une sculpture en mousse peinte à la bombe sur le plateau supérieur tandis qu’un petit écran télévisé diffuse en boucle des programmes de jeux et de télé-réalité.
La fétichisation du projecteur 16mm est désormais un gimmick des expositions depuis quelques années ; la disparition annoncée de la pellicule provoque-t-elle cette nostalgie ? Ainsi, la machine elle-même et le son de la pellicule sont-ils devenus des objets d’art, en atteste la spectaculaire installation de Rosa Barba, White Museum (2010-2013), qui consiste en un projecteur géant, seul élément visible dans l’exposition par sa présence métallique massive qui projette la lumière d’une pellicule vierge sur les bâtiments extérieurs alentour, la nuit, faisant de la ville même un plateau de tournage. Théâtralisation de l’image par Ulla Von Brandenburg et ses déclinaisons de rideaux pour abriter le film The Objects (2009), rideaux qui deviennent véritablement structurels chez Karthik Pandian dont le complexe Carousel (2012) prouve une réelle finesse. En effet, nous sommes aux prises avec des images dont le statut, la datation, sont troublantes, convoquant l’histoire de la peinture — via Pollock — et d’une certaine sculpture qui s’émancipèrent vers la danse. Elad Lassry engage un dialogue avec l’architecture, faisant construire une fausse arche qui rappelle d’ailleurs le travail de Jessica Warboys, dont on regrette l’absence, tant son œuvre est pionnière des enjeux entre performance, film et sculpture depuis déjà un petit nombre d’années.
L’exposition a le mérite de pointer une réalité, celle du potentiel révolutionnaire de l’obsolescence et de l’âge du post médium. Le film : un moyen de continuer la sculpture autrement ?
- Commissariat : Elena Filipovic *
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