r e v i e w s

Dominique Petitgand

par Anne-Lou Vicente

Courants d’air, Micro Onde, centre d’art de L’Onde, Vélizy-Villacoublay, 7.10 – 25.11.2017

Dans L’Air et les songes1, Gaston Bachelard décrit les principes d’une imagination dynamique, d’une psychologie de l’air, ascensionnelle et respiratoire. Au mouvement réel, visible, s’ajoute le mouvement imaginé. « L’élément aérien dans la pensée alchimique, déclare-t-il, n’est nullement évasif, inconsistant ou superfétatoire. Il matérialise des forces cachées, des forces invisibles, d’autant plus solides qu’elles sont invisibles. En tant que souffle, il est inscrit dans la nature humaine, il a une valeur anthropologique2. »

On imagine dès lors de quelles manières l’on pourrait tirer des fils entre la poétique bachelardienne de l’élément aérien et l’installation sonore Courants d’air que Dominique Petitgand présentait dernièrement à Micro Onde, l’immatérialité et le déplacement des éléments sonores en présence (bruits et voix) entrant en résonance avec ceux des mouvements d’air, réels ou imaginaires, circulant dans cet espace singulier du centre d’art investi ici par l’artiste, baptisé « la rue traversante ». Constituant un axe traversant, de porte à porte, le hall de L’Onde, il forme une sorte de couloir telle une « colonne d’air » qui fonctionne autant sur les plans horizontal que vertical étant donnée sa hauteur vertigineuse.

La présence, dans cette zone de passage potentiellement bruyante, d’une black box offrant une forme d’isolement — et une relative isolation — et de recueillement, voire de refuge, à l’abri de l’agitation « extérieure », a permis à Dominique Petitgand de bâtir une installation sonore à deux niveaux, à la fois contrastés et complémentaires. Aux sons furtifs et « parasitaires » diffusés ponctuellement par les quatre haut-parleurs disposés à différentes hauteurs dans la « rue » s’ajoutent, à l’intérieur de la chambre (noire) d’écoute pourvue d’un unique haut-parleur, des voix distillant, dans un montage fragmentaire et bégayant, des paroles mot à mot, voire syllabe par syllabe3. Or, si les premiers sont a priori audibles avant les secondes, ils fonctionnent comme une série de signes de ponctuation — dissociés du fait de leur mise à distance — appliquée à ce qui se dit et s’entend dans la « boîte » : les claquements, frottements et autres points de contact sonnants et trébuchants font figure ici de point d’interrogation ou d’exclamation, là de virgule ou de points de suspension. Sous des airs de bruits aléatoires espacés de silence que l’on pourrait (brièvement) croire venir du lieu lui-même, ils viennent, depuis la « boîte », ponctuer et parfois finir une dizaine de séquences verbales prononcées de manière hachée par des voix différentes. Ces séquences procèdent d’un subtil travail de découpe et de montage à partir d’une réserve d’enregistrements préexistants, lesquels constituent à la fois le mode opératoire et la matière première du travail de Dominique Petitgand. « Tu es privé de tout ce que t’aimes (?) » égraine ainsi, pas à pas, un jeune garçon interrogateur dans le creux de notre oreille. Puis résonne, au dehors, un bruit de frottement suivi d’un tintement4. Un jeu de va-et-vient, comme une partie de ping-pong sonore, s’opère non seulement dans la rue, d’un haut-parleur à l’autre, mais aussi entre intérieur et extérieur, proche et lointain. Une installation en deux espaces et temps où cohabitent bruits et voix, immobilité et déambulation, fragment et tout, sensation et sens — lequel vient (éventuellement) après coup.

Dominique Petitgand est de cette catégorie de musiciens et poètes à l’oreille aussi attentive qu’abstraite, privilégiant, à la représentation et aux récit préconçus, la musicalité et le rythme des sons qui rebondissent et dessinent, par projection, des lignes qui font progressivement leur chemin, jalonné de souffles et de silences. Conjuguée à l’absence de toute image, l’écoute est ici le fil conducteur d’une imagination propre à s’envoler au gré des mouvements d’air, laissant de la sorte la porte ouverte à toutes les fenêtres de l’interprétation libre.

  • Gaston Bachelard L’Air et les songes. Essai sur l’imagination du mouvement, 1943.
  • Gaston Bachelard, « Causeries», Les grandes heures INA 1952-1954, archive INA/Radio France. Extrait diffusé dans « La vie rêvée de Gaston Bachelard 2/4 : L’air », Les Chemins de la philosophie, France culture, 2015. https://www.franceculture.fr/emissions/les-chemins-de-la-philosophie/la-vie-revee-de-gaston-bachelard-24-lair
  • Le(s) premier(s) élément(s) s’ajoute(nt) toujours au suivant, selon un effet cumulatif.
  • Tous les éléments sonores non vocaux proviennent d’un univers lié au verre, à la vitre.

(Image en une : Dominique Petitgand, Courants d’air, 2017. Installation pour 5 haut-parleurs. Photo : Aurélien Mole.)