r e v i e w s

Collectif Wonder-Liebert

par Patrice Joly

Téquaté LO Niktété

Mécènes du sud Montpellier-Sète, 14.09 — 23.11.2018p

Récemment portraituré dans un article de Libération qui rappelait la situation critique des collectifs indépendants dans la France de cette deuxième décennie du XXIe siècle1, le collectif Wonder-Liebert fait l’objet d’une invitation dans les locaux de Mécènes du sud Montpellier-Sète, la jeune structure jumelle des Mécènes du sud Marseille qui a décidé de suivre l’exemple de son aînée en déployant une intense activité de soutien à l’art contemporain en Occitanie : résidence, lieu de diffusion et de production mais aussi, comme le montre cette invitation au collectif de Bagnolet, un accueil beaucoup moins frileux de la part de ce groupe d’entreprises mécènes que celui des municipalités de la proche périphérie parisienne à l’endroit des artists run spaces2. Ni appel au secours, ni brûlot révolutionnaire et / ou revanchard comme on pourrait l’attendre d’un collectif qui se retrouve sur le fil du rasoir balloté d’un site à l’autre, « Téquaté LO Niktété » — dont on ne vous dévoilera pas ici la signification mais dont on vous laissera soupçonner toute la dimension rebelle et déconnante — réunit les membres du Wonder-Liebert dont le nom désigne leurs derniers lieux d’ancrage (l’ancienne usine Wonder puis la Tour Liebert à Bagnolet) avant qu’ils ne se découvrent un nouveau point de chute. Des artistes « squatteurs » qui se révèlent étonnamment réceptifs aux nombreuses mutations et préoccupations sociétales qui nous assaillent : ou comment une supposée bande de punks immatures et fêtards se montre largement plus écoresponsable, sexuellement tolérante et soucieuse du devenir des images que la moyenne de nos concitoyens. Ainsi, prenons l’intervention de Lou Danjou, le « chef » du Wonder, qui s’agite dans ses fourneaux de fortune à créer une cuisine inventive, explosive gustativement mais aussi complètement adaptée — budgétairement s’entend — aux bourses des résidents, la proposition culinaire de vernissage devient ici, grâce à la mise en scène et à la mise en œuvre plastique de François Dufeil, une œuvre hybride, mixte de bric et de broc métallique soudé à une brouette qui en fait un improbable food truck donnant à voir les traces de ce qui semblait être une délicieuse préparation : l’art d’accommoder les « restes » afin d’en faire une véritable installation… Mais la « pièce » de Danjou et Dufeil (à noter qu’aucune des pièces de l’exposition n’est signée, elles sont toutes pensées collectivement) n’est pas isolée du reste de l’exposition, elle se prolonge dans la proposition de Guillaume Gouerou qui a réalisé, selon ses mots, une espèce de « bibliothèque » à partir de la cristallisation de l’acide tartrique qui se solde par un étalage de coupelles sur lesquelles se sont cristallisés les dépôts en provenance de différents cépages de la région : ce même acide tartrique entrant dans la composition de « l’encre » utilisée par Bazile Peyrade pour ses tatouages mais aussi par Danfou et Dufeil pour réaliser leurs cocktails. Ainsi cette encre se propage d’une pièce à l’autre comme une espèce de fil rouge, reliant les artistes entre eux par une communauté de préoccupations sensibles : l’encre sert également de matériau de fixation pour « tatouer » au plafond les motifs de plantes médicinales récoltées au Wonder qui se révèlent éminemment résistantes à la pollution par l’amiante qui imprègne le site ; manière de filer la métaphore de la résilience et de poser la question de la meilleure solution d’occupation pour un site en déshérence : les artistes squatteurs ou les promoteurs immobiliers ? Plus loin on se retrouve nez à nez avec une bâche noirâtre ayant masqué aux yeux des visiteurs la performance SM réalisée par Jérôme Printemps avec son « soumis » pendant le vernissage ; ne subsiste dans l’exposition que la bande son qui relate l’expérience vécue par ce dernier. La performance qui ne dévoilait rien de l’anatomie ni de l’identité du partenaire de l’artiste laissait seulement deviner l’action en relatant par le son les sensations éprouvées, participant d’une remise à plat des interdits et des entraves à la pleine satisfaction des orientations sexuelles de tout un chacun.

Louis Danjou, François Dufeil et Guillaume Gouerou pour le Wonder / Liebert, 2018. Brouettes, friteuses, bouteilles de gaz, extincteur, hotte, acide tartrique, figues torréfiées, gomme de cerisier, eau, huile, beignets, bouteilles de vodka, fenouillette et sérigraphies sur papier. Vue de l’exposition « Téquaté LO Niktété ». Photo : Cédrick Eymenier.

Les pièces de Thomas Teurlai, aidé de Pierre Gaignard, participent aussi, dans un autre registre, de cette conscience politique soft dont semble faire preuve le collectif : comment conserver une mémoire des lieux, une archive active, qui ne soit pas soumise à l’appréciation d’un discours extérieur ? Les hologrammes de Thomas Teurlai, tout comme les « ralentissements » vocaux de la Viziradio de Marie Limoujoux, contribuent à la maîtrise du récit mémoriel : redonnant vie à des moments marquants de la courte histoire du collectif nomade, ces hologrammes aux allures rétrofuturistes figent des images évanescentes tandis que les émissions radio de Marie Limoujoux tentent de redire la réalité, les artistes créent ainsi leur propre mythologie, à base de relectures des micro événements vécus par le collectif.

L’installation de Nelson Pernisco métaphorise — de manière un brin trop littérale certes — la situation du collectif : des rats (domestiques) sont parqués dans une cage à l’esthétique brutaliste chère au groupe, pédalant de temps en temps sur une roue qui actionne le système d’arrosage d’une plante située à l’autre bout de la pièce ; le dispositif symbolise ainsi l’écosystème fermé du Wonder-Liebert et la nécessité d’envisager des actions responsables à l’égard de la nature, des plantes… Manière aussi de rappeler notre humaine condition nécessairement liée à la destinée de notre environnement, quoi qu’en disent les climatosceptiques. La visite se termine par un hommage à Paul SAEIO, ancien pilier du collectif subitement disparu, avec une vidéo dans laquelle ce membre turbulent de la scène du graffiti anticipe la disparition de la Tour Liebert. Une vidéo prémonitoire qui rappelle le destin brinquebalant du collectif.

1 https://www.liberation.fr/debats/2018/10/10/friches-artistiques-marge-ou-creve_1684419

2 Il faut rappeler aussi le lâchage de Khiasma par les collectivités qui n’ont pas jugé pertinent de renouveler son soutien à l’association qui pourtant œuvre depuis de nombreuses années au sein des cités proches et semblait largement répondre aux normes de travail en direction des publics qui paraissent être devenus les principaux critères pour prétendre émarger aux subventions des collectivités, avant toute prise en compte de la qualité artistique des projets mis en œuvre par les structures. (http://www.khiasma.net/exposition/fermeture-de-khiasma/)

Image en une : Vue de l’exposition « Téquaté LO Niktété ». Photo : Cédrick Eymenier.