r e v i e w s

Cat People. Des artistes et des chats

par Vanessa Morisset

Cat People. Des artistes et des chats
La Galerie, centre d’art contemporain de Noisy-le-Sec  
12 septembre – 13 décembre 2025 

Une exposition qu’on imagine inspirée par le succès des chatons sur les réseaux sociaux, alors qu’il y a bien d’autres sujets dramatiques à traiter, a de quoi, a priori, éveiller quelques doutes… Or, l’équipe de la Galerie, à commencer par son directeur et commissaire de l’exposition Marc Bembekoff (qui, il le précise, n’est pas partie prenante, il n’a pas de chat !) assume la référence dérisoire et s’en explique, les chatons sont le deuxième sujet le plus regardé après la pornographie, me dit-on d’emblée à mon arrivée, l’exposition ayant justement l’ambition d’explorer le sujet en profondeur. Que révèle l’émotion que nous procurent ces petits félins et, surtout, qu’apprenons-nous de nous-mêmes en observant le compagnonnage des humains et des chats, qui dure au moins depuis l’Égypte ancienne ? Très fouillée (elle est l’aboutissement de deux ans de recherche), l’exposition rassemble une bonne vingtaine d’œuvres d’artistes d’horizons et de générations différentes, parmi lesquelles il a fallu opérer une sélection drastique, tant les chats sont présents dans l’art, sans compter de nouvelles productions, pour justement doser entre la légèreté de l’intérêt enfantin pour les animaux mignons, le kitsch d’une iconographie populaire et le sérieux du questionnement philosophique. L’une des références, sincère et pas simplement plaquée pour se justifier intellectuellement, pour élaborer cette exposition est un texte de Jacques Derrida, qu’il est difficile d’accuser de futilité : « Qui est-ce que je suis ? À qui le demander sinon à l’autre ? Et peut-être au chat lui-même ?1 » Quant à moi, j’ai eu envie de visiter cette exposition après avoir lu le récent ouvrage de Nathalie Quintane, accompagné de dessins de Stephen Loye, où elle écrit comme écrirait son chat, offrant un point de vue sur le monde, fort intéressant2. La vie avec les chats a, on dirait, une sorte d’actualité.  

Dans un accrochage dense – il y a notamment un grand cat wall composé de peintures et de dessins, entre autres de Nina Childress et de Sarah Tritz, ainsi qu’une vidéo de Rayane Mcirdi –, on a plaisir à voir des œuvres d’artistes dont on connaît (et apprécie, me concernant) le travail, et d’en découvrir d’autres, par exemple les petites huiles sur toile de Louise Luc Kheloui, qui sont comme de drôles d’ex-voto en hommage à des chats remarquables (Adieu Alcide, le tableau commémoratif en l’honneur d’un chat qui parlait, tel est le titre de l’un d’eux, daté de 2020).  

Vue de l’exposition « Cat People. Des artistes et des chats », 2025. La Galerie, centre d’art contemporain de Noisy-le-Sec. Courtesy des artistes. © Adagp, Paris, 2025. Photo : © Salim Santa Lucia.

Outre ce cat wall, plusieurs thèmes ont guidé l’accrochage qui sont, à vrai dire, interprétables. Par exemple, certaines œuvres ont été sectionnées parce que conçues par les artistes pour être présentées « à hauteur de chat » (idéalement, l’exposition s’adresse d’ailleurs à eux, dans la lignée notamment d’expositions expérimentales pour chiens). Ainsi de la série Still Life for Pets (2024-2025), de l’artiste japonaise Mayura Torii qui, en plus d’être accrochée au ras du sol, est peinte dans des tons qui correspondent à l’acuité visuelle des chats. Dans le même esprit est diffusée l’Interview avec un chat de Marcel Broodthaers (1970), dans laquelle l’artiste belge interroge son interlocuteur sur des questions pointues quant à l’art moderne et contemporain. Une autre œuvre pourrait réjouir les félins : les Sapins à chat (2016-2025) que Laurent Le Deunff confectionne avec les sapins de Noël après les fêtes. Structure-sculptures, elles s’adressent autant à eux qu’à nous (et il serait intéressant de savoir si l’artiste laisserait les chats jouer avec si l’expo leur était réellement ouverte).  

Une autre œuvre au ras du sol pourrait être également regardée par les chats, mais elle nous est destinée, car son contenu est métaphorique. Il s’agit de sept vidéos d’Adel Abdessemed, intitulée Hapiness in Mitte (2003), chacune étant un portrait d’un chat errant dans le quartier de Mitte à Berlin, à qui l’artiste a donné un bol de lait pour le nourrir et le réconforter. Simple et efficace, l’œuvre est à comprendre en la transposant au monde humain et constitue un plaidoyer pour venir en aide aux personnes démunies, en particulier celles forcées de s’exiler.  

Très riche, l’exposition présente des œuvres saisissantes dans le contexte politique actuel. Parmi elles, au cœur de la question de savoir pourquoi on regarde des chatons sur les réseaux sociaux, l’installation Que ferais-je si je ne trouvais même pas un chat à caresser ? Sil y avait au moins un chat, un chat !! de M’barka Amor, produite par la Galerie pour l’occasion, tire sa source de vidéos filmées par des Gazaouis qui sauvent leurs chats sous les décombres de la guerre. Les pires atrocités n’entament pas la relation d’affection qui unit les humains et leurs compagnons chats : les animaux nous sauvent autant que nous les sauvons. À l’autre spectre des images que l’on peut trouver sur Internet, l’artiste se réfère à la vidéo générée par IA sur la bande de Gaza transformée en Riviera. Elle a fait imprimer les images des chats de Gaza sur des serviettes de bain installées sur deux transats, au milieu des cocktails, du sable fin et le son d’un mystérieux chant miaulé. En regardant l’œuvre, on espère que si cette horreur supplémentaire arrive, les lieux seront maudits et hantés à jamais par le fantôme de chats vengeurs. 

Vue de l’exposition « Cat People. Des artistes et des chats », 2025. La Galerie, centre d’art contemporain de Noisy-le-Sec. Courtesy des artistes. © Adagp, Paris, 2025. Photo : © Salim Santa Lucia.

Head image : Vue de l’exposition « Cat People. Des artistes et des chats », 2025. La Galerie, centre d’art contemporain de Noisy-le-Sec. Courtesy des artistes. © Adagp, Paris, 2025. Photo : © Salim Santa Lucia.


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