r e v i e w s

Brion Gysin

par Antoine Marchand

He Is That He Is

Brion Gysin

Sans tendre à l’exhaustivité, l’exposition Brion Gysin: Dream Machine, présentée à l’Institut d’Art Contemporain de Villeurbanne, après une première étape au New Museum de New York, permet d’appréhender dans son ensemble la production de cet artiste mythique, dont le travail a toutefois été très peu montré, exception faite de ses fameuses Dreamachines. S’inscrivant dans le « Laboratoire espace cerveau » initié en 2009 par Nathalie Ergino et Ann Veronica Janssens – dont le but est « d’explorer, dans le champ de l’art, les pratiques qui lient espace (comme entité plastique) et cerveau » –, l’exposition réunit ainsi un corpus important, de ses premières œuvres de 1936 à ses collaborations avec Keith Haring ou Throbbing Gristle, en passant par le cut-up et les photocollages.

Une installation impressionnante ouvre cette rétrospective. Réinterprétation des performances théâtrales imaginées par l’artiste dans les années 1960, réalisée à partir de documents originaux et mêlant poésie sonore et projection de diapositives peintes, elle permet d’emblée d’entrer dans l’univers si particulier de Brion Gysin. On découvre ensuite au fil de la déambulation ses nombreuses sources d’inspiration, de la fameuse musique incantatoire de Jajouka aux calligraphies arabe et japonaise, mais également des éléments plus surprenants, tel ce rouleau-tampon acheté lors d’un séjour à Rome. Dès 1961, il utilise ce « brayer » au motif de quadrillage pour créer le fond de ses nombreux dessins, peintures et photocollages.

Brion Gysin Adapted paint roller, 1961. 26 x 20 x 4.8 cm. Propriété de William S. Burroughs. Notes in the Beat Hotel, 1962. Carnet de notes. Manuscript, Archives, and Rare Book Library. Robert W. Woodruff Library, Emory University, Atlanta, Géorgie, États-Unis. Sans titre (in the mountains of Paris), ca. 1962. Manuscrit. Archives du Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris, France. Fondation Brion Gysin. Vue de l’exposition à l'Institut d’art contemporain, Villeurbanne / Rhône-Alpes. © Blaise Adilon.

Brion Gysin Adapted paint roller, 1961. 26 x 20 x 4.8 cm. Propriété de William S. Burroughs. Notes in the Beat Hotel, 1962. Carnet de notes. Manuscript, Archives, and Rare Book Library. Robert W. Woodruff Library, Emory University, Atlanta, Géorgie, États-Unis. Sans titre (in the mountains of Paris), ca. 1962. Manuscrit. Archives du Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris, France. Fondation Brion Gysin. Vue de l’exposition à l’lnstitut d’art contemporain, Villeurbanne / Rhône-Alpes.© Blaise Adilon.

L’accrochage, sans être strictement chronologique, permet de tisser des liens entre les différentes œuvres présentées et de mieux saisir son processus de travail. Ainsi, les Dreamachines sont bien sûr mises en relation avec la musique de Jajouka, mais également avec ses œuvres picturales, que Brion Gysin aimait utiliser pour habiller l’intérieur de ses « lampes », afin de renforcer l’effet de « flicker » produit par la Dreamachine. De la même manière, il existe un lien évident entre Tower Open Fires, film réalisé en 1963 par Antony Balch, William S. Burroughs et Brion Gysin, les nombreux cut-ups réunis et The Third Mind, tentative de « livre illustré de mots et d’images » de Brion Gysin et William Burroughs, dans lequel disent-ils « les images ne seraient pas l’illustration du texte, mais un pictogramme duquel le texte dériverait ». Si The Third Mind ne vit finalement jamais le jour, trop onéreux à produire, les planches exposées à Villeurbanne rendent compte de l’énergie et de la richesse de l’échange qui se mit en place à l’époque entre Burroughs et Gysin, parfaite synthèse de la rencontre de deux des esprits les plus brillants de leur époque, dont l’aura est toujours intacte aujourd’hui.

Si certaines des œuvres de cette exposition ne présentent pas un intérêt majeur, l’exposition dans son ensemble permet de mesurer l’influence de Brion Gysin sur toute une partie de la vie artistique des cinquante dernières années – des Beats jusqu’à la création la plus récente, comme le montre le catalogue édité à l’occasion de cette rétrospective –, lui qui fut longtemps considéré comme un précurseur, mais resta toujours en retrait des figures emblématiques que sont, outre William Burroughs, Jack Kerouac, Gregory Corso ou Allen Ginsberg.

Brion Gysin : Dream Machine, sur une proposition du New Museum de New York,à l’IAC, Villeurbanne, du 16 octobre au 28 novembre 2010.