Anne-Charlotte Finel

par Andréanne Béguin

« Parades », exposition conçue avec Luc Kheradmand (Voiski), musicien & Guillaume Constantin, artiste & commissaire de l’exposition.

Instants Chavirés, Montreuil, 18.09-07.11.2021

L’obscurité est une composante d’espace et d’atmosphère sur laquelle repose généralement l’exposition d’un travail vidéographique. Anne-Charlotte Finel admet avoir longtemps fui la lumière mais prouve avec cette exposition, « Parades » aux Instants Chavirés, que l’éclairage n’annule pas le travail vidéo. Plus encore, grâce à la complicité de Guillaume Constantin, l’exposition vit avec la lumière, et les œuvres vidéo d’Anne-Charlotte Finel en sont vivifiées. C’est un pari risqué – puisque potentiellement dangereux pour les images, menacées de disparaître – mais relevé avec brio car l’ensemble des œuvres et de la scénographie a été pensé in situ et pris comme une composition unifiée.

Anne-Charlotte Finel, « Parades ». Vue de l’exposition, Instant Chavirés, Montreuil, 2021. Photo : Aurélien Mole. DR

L’espace atypique des Instants Chavirés offre au regard une impression de profondeur. La scénographie, composée de trois modules colorés, est à une juste échelle et campe la perspective. Le regard est d’emblée attiré, dans une vue d’ensemble, par ces trois modules distincts disposés dans l’espace. Pensés par Guillaume Constantin, ils s’imbriquent avec les œuvres d’Anne-Charlotte Finel et renouvellent la présentation usuelle des vidéos. Exit la projection à même un mur, exit aussi la dimension monumentale, exit enfin le rapport nécessairement horizontal du regard. Ici, c’est une autre partition qui se joue : celle d’un rapport intime aux objets filmés, doublé d’une fragilité palpable. L’humilité est assumée par ces modules qui semblent tous tenir par un jeu d’équilibre entre plusieurs panneaux. Plus que des supports, les deux artistes ont travaillé de concert pour proposer de véritables sculptures-vidéos. Notre regard est pris dans cet emboîtage habile, qui donne une vive impression de relief et multiplie les directions, les angles et les points de vue. Humilité toujours dans cette volonté de laisser visible les dispositifs techniques de projection et de rétroprojection. L’envers du décor est dévoilé dans sa simplicité, et le montage de l’exposition est saisi in media res grâce à ces maquettes ouvertes. Dans cette proposition scénographique ambitieuse, contenus et formes fusionnent au service de la matérialité des images. Ainsi, dans le premier module-vidéo, Parades #2 & #3 (2021), l’écran de la rétroprojection a été poncé. L’image est une réinterprétation du pixel et une bravade aux conventions de clarté. C’est une symbiose non seulement visuelle mais aussi matérielle ; l’image se dote d’une présence picturale qui titille le regard et stimule notre imagination tactile.

Parades #1/ Anne-charlotte Finel / musique de Voiski / capture vidéo couleur DV / 2’18’’ / 2021. Courtesy de l’artiste et de la galerie Jousse entreprise

Les dispositifs modulaires occupent l’espace de façon lisible, offrant ainsi une grande liberté à la déambulation physique et mentale. La légèreté et la spontanéité du déplacement sont amplifiées par l’ambiance sonore. Luc Kheradmand (Voiski), fidèle collaborateur d’Anne-Charlotte Finel, a créé pour chaque vidéo une composition synthétique particulière. La méthode de travail de Voiski est à l’image de la spatialisation des sculptures-vidéos. Chaque composition est autonome : elle entoure l’œuvre vidéo de son ambiance propre et dialogue avec ses faisceaux lumineux. L’ensemble se superpose pourtant harmonieusement, chaque module étant la partie autonome d’un tout cohérent. Un tout accueillant et chatoyant grâce aux couleurs des modules et des œuvres. Alternatives convaincantes au noir, celles-ci déclenchent une audacieuse colorisation par le fond, puisque les vidéos sont projetées directement sur ces couleurs. Le noir de la salle de projection de Têtes (2021) est lui-même rendu singulièrement gai et allègre par l’entraînante mélodie de Voiski et le potentiel comique des images, dans lesquelles se succèdent les cous de flamants roses mâles en parade nuptiale. Ces jeux de couleur ne s’arrêtent pas aux dispositifs de projection ; ils infusent dans les procédés de tournage de l’artiste. En détournant le matériel vidéo de son usage initial, en l’utilisant en dehors des règles, Anne-Charlotte Finel laisse la machine agir sur les images. Les images de Parades (2021) sont capturées par une caméra dotée d’une option pour filmer en infrarouge, mais celles montrées dans l’exposition ne requéraient pas cet outil : elles ont été prises de jour. La caméra a sa propre personnalité, c’est un gadget qui interprète les couleurs. Les couleurs des plumes de paons en parade de trois espèces différentes forment un ballet étincelant de teintes. Pour Têtes (2021), l’artiste a délégué à la machine la gestion automatique de l’exposition, créant ainsi des décalages aléatoires de reflets.

Pierrier/ Anne-charlotte Finel / musique de Voiski / capture vidéo couleur DV / 4’05’’/ 2013
Courtesy de l’artiste et de la galerie Jousse entreprise

Le pouvoir d’action et de transformation des machines traverse le travail d’Anne-Charlotte Finel, sous un vaste prisme qui évoque autant son ambivalence que son opposition avec le monde du vivant. L’exposition « Parades » n’est pas exempte de ces réflexions. Subrepticement, le bug technologique se manifeste dans chaque œuvre, comme sur les Bugs (2021), photographies dispersées sur les murs. Dans une palette de couleurs saturées générées accidentellement, le dysfonctionnement technologique fait flirter les images avec l’abstrait. L’exposition reste également fidèle à l’attrait de l’artiste pour le motif de la transformation. Altération physique des pierres filmées dans une gravière de la vidéo Pierrier (2013-2021) ; hybridation animale et végétale dans la parade des paons de Parades (2021) ; ou encore métamorphose des flamants roses en derviches tourneurs désynchronisés dans Têtes (2021). Images vidéo, modules et compositions sonores sont riches de changements d’état, de chorégraphies improbables, de carrousels équilibristes et de variations lumineuses imprévisibles, rassemblés avec justesse jusque dans le titre de l’exposition : « Parades ».

Image en une : Anne-Charlotte Finel, « Parades ». Vue de l’exposition, Instant Chavirés, Montreuil, 2021. Photo : Aurélien Mole. DR


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