Ernesto Sartori : Gary, Duane, Hervé et moi

par Marie Frampier

Natif de Vicenza (Italie) et diplômé de l’École des beaux-arts de Nantes en 2007, Ernesto Sartori développe un univers fantasmagorique dont les règles spatiales ont la précision d’une recherche scientifique. Son travail est un jeu de représentations et de constructions, la rencontre inopinée de l’architecture, des mathématiques et de la fiction : une allégorie où chacun des personnages et des visiteurs semble être à même de définir son propre rôle, selon sa propre liberté d’action. L’artiste conçoit ses sculptures en bois comme les modules d’un espace architectural plus vaste, réalise des objets aux fonctions nouvelles ou inconnues et produit des dessins aux couleurs vives qui mettent en scène des personnages dont les silhouettes seraient humaines et animales, arachnéennes, rampantes ou bondissantes.

 

Ernesto Sartori, 3/6, 2011. Peinture glycéro et pigments sur bois / glycero paint and pigments on wood 171,5 x 207,85 x 180 cm Vue de l'exposition / exhibition view at L'Atelier, Nantes, Production : Zoo galerie, Nantes.

Les sculptures d’Ernesto Sartori sont des ensembles géométriques constitués d’éléments triangulaires. Les angles sont aigus et les couleurs sont pastel. Les contrastes des formes, rythmées et travaillées, avec des teintes claires et une texture de peinture glycéro très diluée créent un équilibre intéressant et une dynamique visuelle certaine. Ces sculptures – que nous nommons ainsi en lien avec leur terre et communauté d’accueil actuelles – semblent avoir été parachutées d’une planète lointaine. Tant dans ses dessins que dans ses sculptures / architectures modulaires, Ernesto Sartori définit un angle, toujours de même degré, sur lequel son monde repose. Cet angle est celui d’une pente partout présente. « Je pourrais essayer d’expliquer rationnellement pourquoi je m’intéresse à cette pente plutôt qu’à une autre mais je préfère admettre que j’en suis tombé amoureux et considérer mon travail comme une déclaration d’amour envers elle », avoue l’artiste. Pas de plat pays en ces lieux. Le plancher des vaches est à la diagonale, ce qui pose diverses questions.

 

Ernesto Sartori, Axonométrie 3, d'en haut, par derrière, 2010 Encre, crayon et aquarelle sur papier / ink, pencil and watercolour on paper A3 plié / A3 folded, 48 x 41 cm Courtesy galerie Marcelle Alix, Paris.

La première concerne l’équilibre. L’être humain se différencie depuis des millénaires de l’animal par sa capacité à se tenir en position verticale. Droit comme un I, il prend de la hauteur, développe ses appuis arrière et utilise ses mains non plus seulement pour s’aider à marcher mais comme outil premier pour se nourrir, se loger et se défendre. Ses organes vitaux ne sont plus protégés par un dos courbé mais présentés à autrui, dans un rapport de face à face. Les bases d’une vie en société sont alors posées ! Mais qu’en serait-il dans un monde en pente ? Animaux, humains et hybrides ont-ils ici d’autres choix que celui de courber l’échine ? Quelle position, quel mode de déplacement adopter en de tels espaces ? Certains des personnages présents dans les dessins d’Ernesto Sartori semblent posséder des corps assez bas, longs et courbés, induisant un déplacement quelque peu désarticulé ; d’autres sont plus proches de la morphologie humaine ou reptilienne. Tous peuvent donc marcher, courir, ramper ou s’asseoir aisément. Dans les constructions en trois dimensions, le visiteur est invité à activer l’œuvre. Il peut grimper, bondir d’un module à l’autre ou simplement les regarder et circuler autour.

La pente questionne aussi la norme et les habitus qui en résultent. Elle met en relief notre aptitude à nous cogner et l’influence des règles et systèmes sur la vision que nous avons de notre environnement et de nous-mêmes.

 

Ernesto Sartori, Giacomo, 2010 colle, bois, pantalon de chasseur alpin / glue, wood, Alpine hunter pants 107 x 188 x 90 cm photo: Aurélien Mole Courtesy galerie Marcelle Alix, Paris.

Hervé (2011) est un hybride, mi-module architectural mi-personnage cubique, que nous pourrions imaginer entrer dans une marche effrénée aussi bien que devenir meuble de rangement. Son antre est obscur, accessible mais happant, tel un écran de projection pour notre imagination et semblable à une fenêtre dont l’unique ouverture serait vers l’intérieur.

Giacomo (2010) est un personnage mutilé qui semble s’être échappé des dessins de Sartori. Sa rencontre avec le réel lui a permis d’acquérir un pantalon de chasseur alpin, à moins que ce ne soit l’inverse. Peut-être Giacomo est-il un chasseur alpin dont le saut dans l’autre monde lui aurait ôté son pantalon, alors devenu trace d’une vie passée chez nous autres humains. Les branches d’arbre et les bouts de bois offrent seuls l’illusion de ses mouvements, un « pied » posé sur le sol,  l’autre sur un module architectural.

Chez Gary et Duane (2011) est la maquette d’un habitat de cet univers que nous connaissons peu. Le bois est brut, la pente est raide et seule la structure globale est représentée. Pas de compartiments qui prendraient l’apparence de chambres, pas de meubles, pas de personnages visibles. À l’intérieur de ce météorite designé, Gary et Duane vivraient selon des modes qui nous échappent – bien que similaires en certains points. La notion de propriété et la vie en communauté ne leur sont, par exemple, pas si étrangères.

 

Ernesto Sartori, Chez Gary et Duane, Maquette, 2011 peinture et pigments sur bois / paint and pigments on wood 51cm x 103,5cm x l 60cm Vue de l'exposition / exhibition view: RN137, 40mcube, Rennes, 2011.

Les titres de chaque œuvre d’Ernesto Sartori nous mettent sur les pistes d’une narration plus globale. Ce sont des indices qui nous aident à identifier les codes, les habitudes des personnages et leurs relations. Mais s’agit-il d’un monde passé, futur ou parallèle ? La position rarement verticale des habitants pourrait suggérer un retour vers le passé, sur l’échelle de l’évolution humaine. La réalisation manufacturée des constructions l’indiquerait également.

La technicité et la rigueur scientifique mises en œuvre ont cependant permis la réalisation d’objets architecturaux minimalistes aux accents futuristes. La géométrisation des éléments en trois dimensions et la parcellisation triangulaire des territoires dessinés sont aussi le signe de connaissances spatiales acquises à la période contemporaine.

 

Peut-être ce monde est-il alors parallèle au nôtre ? Les modules et objets exposés seraient les reliques d’autres coutumes et croyances, les souvenirs de voyage de l’artiste dans une terra incognita mais bien réelle, que nous tentons désespérément d’adapter à notre propre contexte et de comprendre selon une grille de lecture erronée. Penchez un peu la tête, faites un bond de côté et tout  deviendra beaucoup plus clair.

 

 

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