Performa Biennial, NYC
Performa Biennial, NYC
Celebrating 20 years
1 – 23 novembre 2025
Pour sa 11e édition, Performa célèbre ses vingt ans en confirmant ce qui fait sa singularité : une biennale sans murs fixes mais omniprésente dans la ville, qui transforme New York en un vaste terrain d’expérimentation pour les formes live. Fondée par RoseLee Goldberg — dont l’ouvrage de référence Performance Art from Futurism to the Present est régulièrement réédité depuis 1979 — Performa demeure une utopie très concrète : faire exister une plateforme dédiée à la performance là où aucune institution permanente n’en tient véritablement le rôle.
Cette année encore, la biennale s’articule autour d’un « hub » conçu par Diller Scofidio + Renfro, point de rencontre et de quelques événements clés, tandis que l’essentiel des projets s’infiltre dans la ville. Comme le résume Job Piston, curator at large : « Performa permet à un grand nombre d’institutions new-yorkaises de coexister sur une seule plateforme pendant trois semaines. »
Autour de RoseLee Goldberg, on retrouve une équipe curatoriale constituée de Defne Ayas (directrice du Van Abbemuseum d’Eindhoven et curatrice at large), Kathy Noble (senior curator), Ikechúkwú Onyewuenyi (curator des affaires culturelles), Job Piston (curator at large) et Madeleine Seidel (assistant curator).

Dans ce travail d’équipe, une thématique qui sert de fil conducteur et de point de réflexion aux artistes est définie chaque année par RoseLee Goldberg assistée de Madeleine Seidel. Un recueil regroupant textes et visuels autour de ce grand axe est ensuite transmis aux artistes afin de leur servir de base de réflexion. Cette année, c’est « Art et Performance, après le cinéma » qui a été choisi, convoquant les figures de Virginia Woolf, Charlie Chaplin, Maya Deren, Bell Hooks, Jean-Luc Godart ou Yvonne Rainer.
L’un des particularités de Performa consiste à inviter des artistes visuels à s’emparer pour la première fois de ce médium, bien que certaines collaborations aient été engagées au cours des années avec des chorégraphes comme Jérôme Bel. Cette année sont conviées à cette réflexion de passer au medium live, Diane Severin Nguyen, Tau Lewis, Aria Dean, Ayoung Kim, Sylvie Fleury ou Camille Henrot (dont la présentation a été reportée en 2026).
Une autre série les Performa projects propose la présentation d’œuvres plus éclectiques ou expérimentales, comme celle de Regina José Galindo à l’Americas Society ou de l’artiste sud-coréenne Sojung Jun à l’Asia Society. Ce projet que l’on a pu voir, s’inspire de l’histoire occultée des Koryo-saram, une population coréenne déportée par Staline en 1937 en Asie centrale. Le projet mêle musique traditionnelle, chant narratif épique Pansori et un film expérimental généré par l’artiste à partir d’images d’archives et contemporaines liées entre elles par l’IA. Alliant chant traditionnel et image mutante, la performance propose une réflexion marquante et poétique sur cet épisode oublié de l’histoire. A noter que l’on peut voir le film sous la forme d’une installation au Showroom de Londres jusqu’en janvier 26 (la version performative sera également présentée prochainement au Mudam, Luxembourg).
Le programme, riche et foisonnant, réunit 54 artistes et collectifs et inclut également un « pavillon sans mur » dédié à la découverte « sociale, politique et artistique » d’une scène, consacré cette année à la Lituanie. Lina Lapelyté présente The Speech (NYC) une nouvelle version de la performance découverte avec d’autres interprètes à la Bourse du Commerce à Paris en septembre 2024 dans le cadre du Festival d’Automne. Pour cette version, elle a travaillé avec 200 enfants plusieurs semaines en résidence au Watermill Center. Le commissaire Raimondas Malašauskas propose deux soirées de comédie musicale invitant à l’hypnose et la poésie quand le duo Pakui Hardware offre une soirée mêlant chant, sculptures et intelligence artificielle. Le pavillon se complète d’installations in situ et nomades d’Augustas Serapinas qui disséminent dans la ville les restes d’une structure en bois en évoquant ainsi les idées de mémoire et de récurrence.
Nouveauté de cette année, le Performa Studio propose des workshops ouverts au public, favorisant leur implication et mettant l’accent sur le processus de recherche et l’expérimentation avec comme invitées Moriah Evans et Isabel Lewis. Viennent compléter des promenades curatées, en partenariat avec Extra Extra, et qui permettent de parcourir la ville en identifiant les lieux emblématiques où des performances ont vu le jour.

Parmi les temps forts des commandes passées cette année et auxquelles on a pu assister, Pakui Hardware (duo qui a représenté la Lituanie à la dernière biennale de Venise composé de Neringa Černiauskaité et Ugnius Gelguda) aborde les questions de santé mentale et d’intelligence artificielle à travers la structure d’un drame grec classique. On constate une fois encore la récurrence du chant (souvent présent chez les artistes lituaniens) magnifiquement interprété par la soprano Justina Mykolaityté que l’on avait pu admirer dans The Sun and The Sea à la Biennale de Venise en 2019*. Dans Spores, on retrouve comme éléments de décors, les formes sculpturales organiques du duo, augmenté d’un film qui interagit avec la chanteuse et son chœur, simulant une interaction avec un thérapeute/intelligence artificielle lors d’une séance « live ». Emprunte d’émotions, la performance aborde les questions d’anxiété contemporaine et de crise environnementale.
Utilisant également l’IA et la fiction spéculative, l’artiste sud corééenne Ayoung Kim ayant à peine inaugurée son exposition à MoMA PS1, présentait, elle aussi, pour la première fois une performance à Canyon, dérivée de son exposition. Body^n, reprend l’histoire déjà explorée à PS1, d’une livreuse à moto symbole ultime d’un capitalisme avide à surveiller les performances, travaillant pour la Deliver Dancer company, une plateforme gérée par une IA, confrontée à son doppelgänger. Le temps devient cyclique et non linéaire, le sujet traverse les frontières de plusieurs réalités possibles en parvenant (ou pas) à effectuer des livraisons à la vitesse de la lumière. Les performeuses, dont certaines sont des cascadeuses pour le cinéma et des combattantes d’arts martiaux, miment des combats entre elles, dans la réalité augmentée de ce Séoul futuriste et désert. La relation entre la livreuse et son double qui lui révèle des vérités sur les mondes parallèles se révèle ambiguë, conflictuelle mais aussi plus sensuelle. De combats en corps à corps captés avec la technologie du « motion capture », la chorégraphie évolue vers des étreintes plus douces symbolisant l’étrange affect entre ces personnages aliénés.
Certains événements organisés par Performa sont plus discrets, mais n’en restent pas moins intéressant comme cette rencontre animée par l’autrice Fiona Alison Duncan sous la forme d’une discussion performative avec les artistes Dozie Kanu, Matt Hilvers et Chukwumaa. En jouant sur un décalage ironique avec des questions aussi directes que « do you believe in God ? », le dispositif s’émancipait du format traditionnel avec impertinence pour proposer une recherche de sens différente autour de la création.
Performa ne cesse d’être une plateforme passionnante pour les formes live, tentant souvent avec succès de réinventer ce medium ou de le déplacer hors des sentiers battus comme ce compte instagram, war_s0ngs, carnets de recherche ouvert, créé par Diane Severin Nguyen qui interroge la manière dont les artistes partagent leur matériau.
Vingt ans après sa création et pour son anniversaire, Performa affirme sa place singulière dans le paysage artistique new-yorkais, en tant que laboratoire et cellule de réflexion active qui continue de penser la performance comme medium mouvant et outil de lecture du présent.
*Créé par Lina Lapelyte, Vaiva Grainyte et Rugile Barzdziukaite. Ce pavillon a remporté le Lion d’or de la Biennale en 2019.

Head image : Pakui Hardware, Spores, 2025. Photo by Walter Wlodarczyk, courtesy of Performa.
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- Du même auteur : Thomias Radin, Ralph Lemon,
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