Biennale Son
Seconde édition de la Biennale Son
Valais, Suisse
30 août — 30 novembre 2025
Commissariat : Jean-Paul Felley, directeur de la Biennale Son, Maxime Guitton, curateur associé 2025
La seconde édition de la Biennale Son, qui se tient actuellement à Sion, Martigny et dans divers lieux du canton du Valais, dans le sud de la Suisse, affirme un peu plus la portée internationale de cet événement à l’ambition rare, qui fait du son dans toutes ses dimensions le prisme à travers lequel l’art contemporain dialogue avec l’espace, le patrimoine et les enjeux de notre époque. Placée sous le commissariat de Jean-Paul Felley, directeur de la manifestation, et Maxime Guitton, historien de la musique et commissaire associé, cette édition prolonge l’élan de sa première occurrence en 2023, tout en élargissant son envergure spatiale et temporelle. Dès son lancement, la Biennale Son s’est affirmée comme une manifestation audacieuse, mue par le désir de faire du Valais un épicentre de l’art sonore contemporain. Ce nouvel opus, qui s’étend sur trois mois et investit vingt-trois lieux – contre dix-sept lors de la première édition – confirme cette volonté de tisser un lien organique entre le patrimoine valaisan et les pratiques artistiques les plus novatrices. À Sion, cœur battant de l’événement, La Centrale, ancienne usine hydroélectrique reconvertie en lieu culturel, incarne cette rencontre entre histoire industrielle et création contemporaine. Ce bâtiment moderniste, décrit par Jean-Paul Felley comme une « cathédrale industrielle », devient un espace de résonance dans lequel les œuvres s’inscrivent dans une matérialité brute, amplifiant leur impact sensoriel.

Focus 1 : Soundwalk Collective (Stephan Crasneanscki et Simone Merli)
Installation sonore immersive qui se distingue par son ambition environnementale et poétique, Invisible Landscape de Soundwalk Collective est présentée en première mondiale à La Centrale. L’œuvre s’articule autour d’un montage de field recordings, de musiques et de voix, évoquant la fonte des glaciers et l’effondrement écologique, du Groenland à l’Amérique latine. Avec des contributions notables de figures comme Charlotte Gainsbourg, Jim Jarmusch ou Willem Dafoe, l’installation tisse un dialogue entre art sonore, poésie et engagement environnemental. Elle crée une expérience sensorielle contemplative, dans laquelle les sons captés dans des environnements naturels en mutation s’entrelacent avec des textures musicales et des voix narratives. Cette approche confère une profondeur émotionnelle, renforcée par la résonance des lieux choisis, notamment l’ancienne centrale hydraulique de Chandoline, qui amplifie l’atmosphère industrielle et fragile de l’installation. Œuvre puissante, Invisible Landscape invite à une réflexion urgente sur notre rapport à la planète, tout en explorant les frontières de l’art sonore contemporain.
Le duo propose également Opération Béton, réinterprétation audacieuse du premier film documentaire de Jean-Luc Godard, réalisé en 1955 sur le chantier du barrage de la Grande Dixence. Produite spécialement pour la Biennale Son, cette création hybride mêle archives sonores godardiennes, field recordings et compositions contemporaines, pour offrir une méditation sur le labeur humain et la monumentalité du béton dans le paysage valaisan. L’installation fait dialoguer le passé et le présent de façon remarquable : les sons bruts du chantier, captés avec une intensité presque tactile, se fondent dans une texture sonore moderne qui amplifie la dimension poétique et politique de l’œuvre originale. La voix de Godard, extraite des archives, ajoute une couche d’intimité, comme un écho de sa jeunesse rebelle. Cette œuvre, à la croisée de l’histoire cinématographique et de l’art sonore, captive par son ambition et son ancrage territorial. Un hommage vibrant à la genèse d’un cinéaste visionnaire et à la puissance du son comme mémoire.
Mais la biennale ne se limite pas à Sion. À Martigny, le Manoir de la Ville accueille « Erratum Musical », une exposition jubilatoire imaginée à partir de la section musicale du musée des Erreurs, par son fondateur, l’artiste, critique et éditeur français Pierre Leguillon. L’exposition, qui mêle des œuvres de la collection du Centre Pompidou, du musée du Son de Martigny et du musée des Erreurs, est une carte blanche offerte à l’artiste qui propose une archéologie du son, explorant, à partir d’un ensemble d’objets modestes structuré autour de l’installation vidéo Hors-Champs (1992) de Stan Douglas, les notions d’erreur et d’accident comprises comme autant de moteurs de création. À la croisée de l’archive et de la performance, elle incarne l’ambition curatoriale de la Biennale, qui fait du son un outil de réflexion critique sur l’histoire de l’art et ses marges. D’autres lieux, comme la Fondation Opale à Lens, avec une performance de l’artiste aborigène Latai Taumoepeau, ou le Musée valaisan des Bisses à Ayent, avec l’exposition-performance Buloklok (2022) de l’artiste japonaise Tomoko Sauvage, enrichissent cette cartographie artistique, faisant du Valais un terrain d’expérimentation où le son transcende les frontières géographiques et culturelles.

Focus 2 : Pauline Boudry & Renate Lorenz
À la Ferme-Asile, centre artistique et culturel au cœur de Sion, l’exposition « Always Night » de Pauline Boudry & Renate Lorenz métamorphose le club queer berlinois SchwuZ, vidé de ses danseurs, en un espace sonore dans lequel Chelsea Manning, icône de la dissidence, tisse un DJ set de house et techno. L’installation filmique, titrée All The Things She said, captée par une mosaïque de micros, fait du son un matériau de résistance dans lequel basses vibrantes et échos fantomatiques invoquent une communauté absente. L’œuvre, ancrée dans l’« archéologie queer » du duo, défie les normes conservatrices par un plaisir subversif. Cette polyphonie transforme l’écoute en communion. « Always Night » fait résonner Sion d’un chant de liberté où la nuit devient un refuge pour les identités rebelles.
La manifestation se distingue par son refus des cloisonnements disciplinaires. Avec plus de cent huit artistes, duos et collectifs, cinquante-six concerts et performances, et vingt-deux œuvres créées ou adaptées spécifiquement pour l’événement, elle propose une expérience immersive qui navigue entre installations sonores, performances, films, sculptures et œuvres silencieuses dans lesquelles le son est suggéré. Cette approche plurielle reflète une compréhension subtile de l’art sonore, non pas comme une niche, mais comme un médium transversal capable d’interroger notre rapport au monde. Parmi les temps forts, l’installation sonore Invisible Landscape de Soundwalk Collective, présentée en première mondiale à La Centrale et imaginée pour le grand hall et la salle de contrôle, mêle art sonore, poésie et engagement écologique, interrogeant l’effondrement environnemental à travers une composition spectrale. À la Ferme-Asile à Sion, All The Things She said (2025) de Pauline Boudry & Renate Lorenz, aborde la musique comme moyen de survie en mettant en scène l’activiste Chelsea Manning dans le club queer berlinois SchwuZ, vide, où elle performe un DJ set. L’œuvre explore le son comme vecteur de résistance et de plaisir queer face à la répression. La performance Sisters! de Winter Family, présentée en ouverture à la cathédrale Notre-Dame de Sion, mêlant orgue et voix, ou encore le concert Blue Veil de Lucy Railton à La Centrale, témoignent de la capacité de la Biennale à investir des lieux patrimoniaux pour y faire résonner des propositions contemporaines. Ces moments, dans lesquels le son dialogue avec l’architecture, créent des expériences immersives qui redéfinissent notre perception de l’espace.

Focus 3 : Ugo Rondinone
Dans l’un des espaces vitrés de La Centrale que Jean-Paul Felley a eu la bonne idée de transformer en cabines d’écoute, 1998 (1998-2025) d’Ugo Rondinone résonne comme un chant funèbre et vibrant. Cette pièce, chanson composée à partir des rencontres de Rondinone à Zurich en 1998 avec des SDF vivant avec le VIH – tous prénommés Hugo comme autant de doubles de l’artiste –, tisse un lien fragile entre mémoire et matière. Le son, grave et mélancolique, habite l’espace d’écoute industriel, convoquant les voix des invisibles dans un geste d’« archéologie sensible ». Cette alchimie, dans laquelle le son se fait mémorial, est bouleversante. À Sion, 1998 transforme La Centrale en un sanctuaire de la mémoire dans lequel chaque note chante la dignité des oubliés. La pièce sonore s’accompagne pour l’occasion d’une nouvelle édition du journal intime de l’artiste de cette année-là.
La portée internationale de la Biennale Son s’affirme dans cette seconde édition à travers la collaboration inédite avec le Centre Pompidou. En prêtant des œuvres majeures pour « Erratum Musical » et en soutenant des projets comme Les Insomniaques (2025) de Philippe Quesne, installation inédite déclinée de sa pièce sans acteurs Fantasmagoria (2022), le Centre Pompidou ancre la Biennale dans un réseau global de l’art contemporain. Cette ouverture se retrouve également dans la Vinyl Art Fair, une première organisée par Sara Serighelli et Fabio Carboni, qui explore le disque vinyle comme support artistique, ou encore dans les nouveaux travaux de Christian Marclay, Ugo Rondinone ou David Horvitz, ce dernier signant un livre d’artiste, Call to a crow – Appelle un corbeau, Leporello présentant une collection de courts poèmes écrits à l’occasion de la première édition de la Biennale Son.

Focus 4 : Philippe Quesne
Dans Les Insomniaques, Philippe Quesne, fidèle à son théâtre d’objets et d’atmosphères, revisite sa pièce Fantasmagoria (2022) pour en faire une installation sonore et visuelle d’une étrange délicatesse. À la croisée du spectral et du concret, cette création, coproduite avec le Centre Pompidou et le théâtre Vidy-Lausanne, déploie un cabinet de curiosités dans lequel des pianos désaccordés jouent une partition mélancolique. Dans cette poétique du désuet emblématique de l’univers de Quesne, chaque objet, chaque son – un craquement, un souffle, une note dissonante – semble murmurer une mémoire en sursis, questionnant notre rapport à l’invisible. La Centrale, ancienne usine reconvertie, amplifie cet hermétisme entre le brut et l’éthéré. Quesne, en magicien des petits riens, propose une rêverie introspective. Les Insomniaques est une méditation fragile et envoûtante sur le temps et la perte, dans laquelle le son sculpte l’espace avec une précision d’orfèvre. Cette expérience, à la fois précieuse et déroutante, invite à écouter l’écho des choses qui s’effacent.
La force de la Biennale Son réside dans sa capacité à faire dialoguer des artistes de renom avec des institutions locales, tout en valorisant des voix moins entendues, comme celle de Latai Taumoepeau ou des artistes émergents issus de l’EDHEA1. L’accent mis sur le son comme médium permet d’explorer avec une sensibilité rare les grandes thématiques contemporaines, comme l’écologie (Invisible Landscape de Soundwalk Collective, en filigrane dans plusieurs performances), la décolonisation (Latai Taumoepeau) ou la mémoire collective (Sisters!). Cette dimension critique confère à l’événement une profondeur qui transcende le simple spectacle, faisant du son un outil de réflexion sur le monde. Le choix de lieux comme l’ancien pénitencier de Sion ou l’église Saint-Nicolas d’Hérémence, œuvre majeure de l’architecture moderne en Suisse, témoin du mouvement brutaliste, amplifie cette résonance, transformant des espaces historiques en scènes de création contemporaine. Cette seconde édition de la Biennale Son réussit son pari de faire vibrer le Valais au rythme de l’art contemporain. En explorant le son comme un vecteur de sens, elle ne se contente pas de présenter des œuvres, mais invite à écouter le monde autrement, à entendre les silences, les erreurs et les échos qui le composent. Entre ambition internationale et ancrage local, cette seconde édition confirme que la Biennale Son est en passe de devenir un rendez-vous incontournable lors duquel le Valais se fait laboratoire sonore à ciel ouvert.

Focus 5 : Ancien pénitencier de Sion
Au Pénitencier – espace chargé d’histoire et reconverti en lieu d’exposition –, les œuvres présentées résonnent avec une intensité singulière, dialoguant avec l’architecture carcérale et son passé. Ce lieu, marqué par l’austérité de ses cellules et la rigueur de ses lignes Art Déco, devient un écrin où le son sculpte l’espace et la mémoire. « Comment mordre, pourquoi on mord et qui on mord ? » se demande Anne Le Troter dont l’installation sonore ouvre le parcours en proposant de mordre les quatre pièces qui la composent pour les activer, le tout s’inscrivant parfaitement dans l’atmosphère oppressante et résonnante de cet ancien lieu carcéral. Les œuvres présentées, souvent minimalistes, jouent sur la tension entre confinement et libération sonore, à l’image des interventions d’Alessandro Bosetti ou de Noémi Büchi, présentes dans d’autres lieux mais adaptées ici, qui explorent des textures acoustiques qui semblent hanter les murs, transformant l’ancienne prison en un instrument à part entière. Les sons, parfois imperceptibles, parfois abrasifs, interrogent la matérialité de l’enfermement et invitent à une écoute introspective.

Focus 6 : Catherine et Nicolas Ceresole
La Grenette, espace d’expérimentation de la Ferme-Asile à Sion, présente 11’000 VOLTS de Catherine (1956-2023) et Nicolas Ceresole (né en 1954). L’exposition réunit cent vingt-six photos et de nombreuses archives retraçant leur parcours musical, de New York à Rolle, avec un focus sur les clubs new-yorkais et les scènes européennes. En 1979, Catherine et Nicolas Ceresole s’installent à New York, où la première photographie la scène musicale post-punk, tandis que le second enregistre des concerts tout en collectionnant des vinyles. Leur immersion leur permet de collaborer avec des artistes majeurs comme Sonic Youth et Lydia Lunch. Les clichés de Catherine, au grain expressif, captent l’intensité des concerts peu documentés et mettent en valeur l’éthique DIY (do it yourself) et la spontanéité artistique. Les archives témoignent d’un engagement musical continu entre New York et l’Europe. Les tirages, réalisés sur papier Canson Platine Fiber 310 g, ont été exposés au Centre culturel suisse à Paris, en 2013, lors de l’exposition « Catherine Ceresole. Other Music » ; ils proviennent de la collection de Nicolas Ceresole.

Focus 7 : Hors-champs et Fanfares : échos subversifs à la Biennale Son
Dans cette seconde Biennale Son, Hors-champs (1992) de Stan Douglas et Fanfares (2024) d’Annika Kahrs dialoguent avec la mémoire et la subversion à travers le son. Installation à double projection du photographe canadien, Hors-champs, revisite un concert free jazz d’Albert Ayler, captant l’énergie brute des années 1960 pour questionner les luttes raciales et politiques. Les sons syncopés, déconstruits, résonnent comme une archéologie des résistances, transformant l’espace en un lieu de friction historique. Fanfares (2024) d’Annika Kahrs, quant à elle, détourne les codes des fanfares valaisannes, mêlant cuivres et silences, dans une performance collective qui perturbe la solennité des traditions locales. Ces deux vidéos tissent une poétique du désordre : Douglas exhume les combats passés quand Kahrs réinvente le présent. À Sion, Hors-champs et Fanfares font chanter les marges, invitant à écouter les voix dissonantes d’un Valais réinventé.

Head image : Soundwalk Collective, Stephan Recording in Iceland. Photo : Aleph Molinari.
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- Du même auteur : Walter Swennen, Laurent Proux, Josèfa Ntjam, Michel François, Adrien Vescovi,
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